dimanche 16 septembre 2007

Bibliophilie


  • Répertoire chronologique des ouvrages de bibliophilie édités par Maurice Robert de 1930 à 1972 & projets en cours pour les années à venir / [Préface de René Héron de Villefosse].- [Paris : Union latine d'édition, 1972? - n.p. ; 21,5 cm]
IL est à la fois merveilleux et impressionnant d'apprendre qu'il y aura bientôt un demi-siècle que Maurice Robert a voué son activité à la réédition de textes connus ou méconnus qui débutent dans une vie nouvelle grâce à l'Union Latine d'Éditions et sont à la fois admirablement présentés, alliant une stricte mise en pages à une typographie impeccable, et accompagnés d'illustrations classiques, graves ou joyeuses selon les textes, mais toujours agréables puisque confiées à des artistes doués, dont la fantaisie ne dépasse pas les normes de la raison.

Nous avons admiré naguère la reproduction parfaite de l'exemplaire unique de l'Éloge de la Folie, d'Érasme, illustré dans les marges par Holbein et imprimé par Froben à Bâle, en 1515. C'est le musée de cette grande ville qui en est le dépositaire. Ce célèbre texte latin était accompagné d'une traduction française, imagée de nombreux bois spirituels de jean Chièze qui avait déjà donné des preuves de son talent en illustrant Edgar Poe, Hippocrate et Galien, et les Romans de la Table Ronde.

Inlassable, Maurice Robert, au lieu de déposer les armes après cette réussite, a continué sa chasse à la Licorne comme dans une tapisserie du château de Boussac ! Il a créé une Collection Médiévale avec la collaboration littéraire du poète André Berry, de Roger-Henri Guerrand, de l'érudit Jean Longnon, fils du grand ami de mon père, Auguste Longnon, créateur de l'étude de la géographie historique de la France, et du regretté André Thérive, l'un des écrivains les plus cultivés que j'aie rencontrés.

Cette collaboration étonnante a permis une réédition des Romans Courtois dont l'illustration a été confiée à Michel Ciry, dont la personnalité impose une idée de qualité un peu sévère et très profonde. Son mysticisme, fort ignorant d'une époque qui nous accable souvent par sa vulgarité, élève nos âmes dans un ciel de pensée mélancolique, rejoignant l'estampe illustre d'Albert Dürer. Ainsi a-t-il traité les apparitions de la Dame invisible, Jehan et Blonde, Flamenca et le Châtelain de Coucy. Il est doux à nos esprits de sentir encore la distinction.

Les Poèmes Épiques demandaient un artiste plus truculent dont le mouvement soit d'inspiration directe. Pour Girart de Roussillon, les Quatre Fils Aimon, la Croisade Albigeoise et l'étonnant Guillaume d'Orange qui sauva Paris des Sarrasins, Fontanarosa, mieux que n'importe quel autre, a saisi la manière dont il importait d'illustrer ces fracas et ces bruissements, ces cavalcades et ces vengeances.

A mon point de vue, ces textes essentiels dans une bibliothèque de littérature française ne sont point encore l'idée la plus originale, la plus savoureuse, la plus inattendue de l'Union Latine d'Éditions. Au sommet de la Collection Médiévale, on doit hisser Thyl Ulenspiegel ou Thil l'Espiègle, ce dernier mot ayant été inventé par Ronsard, enthousiaste de ce récit. Charles de Coster fit paraître en 1868 cette légende historique d'après le moine Thomas Murner.

C'est la résistance des Flandres contre les occupants espagnols. Au-dessus du tourbillon de flammes et de sang, le pur amour de Thyl pour son amie Nele accorde ses nuances paradisiaques aux inutiles bestialités humaines. Ce texte peu connu méritait son invention et nous pouvons attribuer à Maurice Robert la devise du petit écureuil : « quo non ascendet? » jusqu'où ne montera-t-il pas ?...

Le socle de notre pic est bien solide et déjà fort élevé en altitude puisque d'Homère à Duhamel les auteurs des textes sont célèbres ; ce n'est point mon propos que de chanter le génie de Rabelais, de Gœthe ou de Dickens mais plutôt de louer leur accompagnement, leur support qui est le fait de l'éditeur. Les illustrateurs, aux tempéraments différents, sont choisis par le goût du créateur.

J'en connais fort bien la grande majorité, vivant moi-même depuis quarante ans dans un climat d'art vivant. Il m'est donc agréable d'exprimer ici un peu de mon admiration pour eux. Pour ne pas procéder à un classement, l'alphabet est la règle la plus simple. Imaginons qu'ils dansent une ronde et se tiennent par la main.

Rabelais et François Villon, depuis toujours amis d'Yves Brayer, aimaient, comme notre tambour-major, la vie trépidante et truculente de la rue et de la route. Notre artiste ne connaissait pas encore ses chers chevaux de Camargue lorsqu'il illustra la Conquête de Constantinople et la Chanson de Roland, mais les portes de l'empire sarrasin, l'Italie et l'Espagne l'avaient attiré par leur lumière et ce Carpaccio du XXe siècle avait entendu à Venise l'appel discret de l'Égypte et de l'Iran, auquel il a récemment si brillamment répondu.

L'étrange difficulté d'illustrer les Mille et Une Nuits sans être enlumineur persan, a été résolue par Roger Chapelain-Midy. Qui pouvait mieux présenter leur charme que ce magicien, créateur des décors et des costumes des Indes galantes et de la Flûte enchantée à l'Opéra ? René Huyghe, qui l'a découvert très tôt, a dit de lui : « Il esquisse cette angoisse de redonner à l'art un sens humain qui hante les néo-humanistes. »

Avec Douking, artiste étonnamment doué, le succès a été immédiat : l'édition de la Grèce des dieux et des hommes a été épuisée en quelques semaines.

A chaque manifestation du Trait, j'admire les estampes de Paulette Humbert, souvent paysagiste du Limousin. Son talent, sans artifice ni machine, reste pur comme l'eau d'une source.

Maurice Robert, parlant d'Edy-Legrand, le qualifie de « géant des illustrateurs ». Le surnom est mérité quand il désigne celui qui a eu l'audace d'illustrer la Bible comme Gustave Doré et Chagall, l'Énéide comme Abraham Bosse, la Divine Comédie comme Salvador Dali, Shakespeare et Faust comme Delacroix. Ce sont des centaines et des centaines de vigoureux dessins qui témoignent non seulement de son talent mais d'une incroyable activité.

Il était difficile de trouver à Pierre Louys, écrivain de l'amour terrestre, aimant les plages douces que l'écume de la perversité venait parfois humecter délicatement, une compagne plus compréhensive que Mariette Lydis dont les exquises compositions troublent légèrement les cerveaux les plus lucides.

Survivant du Désert de Bièvres, c'est-à-dire de l'abbaye de Créteil dont le prieur fut Georges Duhamel, Berthold Mahn est un descendant direct de Gabriel de Saint-Aubin qui, son album en main, dessinait tout ce qui l'intriguait au cours de ses promenades. Son oeuvre considérable restera une somme de choses vues, depuis les croquis de la Nuit des Rois au temps du Vieux-Colombier de la troupe de Copeau, jusqu'aux aspects des rues de la capitale au début de ce siècle. Son Don Quichotte ajoute son excellente signature à la longue liste des illustrateurs du chef-d'œuvre de Cervantès.

Avec une plaisante logique, l'alphabet a réservé son ultime place à mon charmant et fidèle ami Maximilien Vox, l'un des êtres les plus brillants que j'aie rencontrés. Il fut désigné pour ouvrir le feu sur le front de l'Union Latine, et, dès 1930, il prit l'offensive victorieusement avec un Molière qui devait être suivi de près par Beaumarchais. Prince de l'esprit français, sa science typographique et son écriture l'ont fait estimer de tous les amoureux des livres.

Souhaitons visiter dans un demi-siècle la seconde rétrospective des peintres et graveurs au service du Livre mais auparavant applaudissons de tout notre coeur et aussi longuement qu'à un festival, en tant qu'amateur passionné, l'incomparable chef d'orchestre de cette grande symphonie : Maurice Robert.

RENÉ HÉRON DE VILLEFOSSE, Conservateur en chef des Musées de la Ville de Paris.



  • Florilège 1965 offert par Maurice Robert à ses amis.- [Paris : Maurice Robert éditeur, 1954].- 55 p. ; 20 cm.
    • Cet ouvrage strictement hors commerce a été achevé d'imprimer le vingt-cinq novembre 1964 jour de la Sainte-Catherine par Damien Maître imprimeur à Paris pour Maurice Robert éditeur.