vendredi 15 août 2008

Abanindranath Tagore (1871-1951)


  • La Poupée de fromage : Khirer Poutoul / Abanindranath Tagore ; préface de Selma Lagerlöf, adapté du bengali et annoté par Andrée Karpelès et Amya Chandra Chakravarty.- Mouans-Sartoux (près Cannes) : Publications Chitra ; Paris (150, Boulevard Saint-Germain) : Librairie des Lettres et des Arts, 1933.- 104 p. : ill., couv. ill. en coul. ; cm.- (Feuillets de l'Inde ; 3).
    • Il a été tiré de ce volumes 1000 exemplaires, dont 5 numérotés sur Auvergne fabriqué à la main.

PRÉFACE

L'on me dit que ce conte de LA POUPÉE DE FROMAGE aurait pris naissance aux Indes, autrefois, dans la nuit des temps, que depuis lors, il est resté vivant sur les lèvres du peuple, et que c'est seulement de nos jours qu'un ardent folkloriste ABANINDRA NATH TAGORE l'a transcrit et fait paraître ; il me faut donc admettre ce fait presque incroyable : ce petit bijou a pu, jusqu'ici, éviter de figurer dans un recueil de légendes orientales.

Mais, il me paraît encore bien plus impossible, bien plus étrange, que ce conte n'ait point, selon la coutume des récits populaires, erré d'un pays à l'autre pour venir ensuite s'incorporer à notre trésor de légendes occidentales. Cependant, tel ne fut pas le sort de la POUPÉE DE FROMAGE, et il semble bien que cette gracieuse création, issue d'une imagination très naïve, mais aussi très raffinée, soit aujourdhui, pour la première fois, mise à la portée de nous autres Européens.

Et quelle bonne aubaine que ce conte nous arrive tout droit de son pays natal ! S'il s'était acheminé vers nous par la voie de la tradition orale, le rusé petit singe serait devenu, chemin faisant, l'un des animaux domestiques qui nous sont familiers ; les deux reines rivales se seraient changées, l'une en belle-mère, l'autre en belle-fille ; quant à l'infortunée déesse Shastri, avec son faible pour le bon fromage frais, elle se serait, peut-être, métamorphosée en petit gnôme montagnard.

Ce conte nous aurait alors paru semblable à tant d'autres contes, car ce pouvoir de nous charmer, que lui confèrent ses atours hindous, aurait été perdu pour nous.

Et, le voici qui s'élance vers nous, avec toute la grâce exquise et le langage chevaleresque, des cours royales de l'Inde ; paré, aimant le faste, il est cependant riche en sagesse, car il place là bonté et la fidélité au dessus de la jeunesse et de la beauté.

Il voltige, impétueux et folâtre, mais garde toujours une charmante modération. Quoique miracles et prodiges, soient en abondance à sa portée, il n'y a pas recours inutilement ; il a le tact de laisser, aussi longtemps que possible, les évènements suivre leur cours, et c'est, seulement en cas d'extrême urgence qu'il permet au surnaturel d'entrer en jeu, non pas sous les traits d'une fée irrésistible et toute-puissante, mais sous la forme d'un pauvre petit ouistiti, avec une longue queue.

Selma Lagerlöf
Morbacka, 29 janvier 1930.
(Traduit du suédois par Adalrik Högman.)