samedi 13 décembre 2008

Louis Lacour (1832-1891)


  • Le meurtre du Marquis de Monaldeschi : les deux relations / de Le Bel et de Conti ; édités avec une étude préliminaire et des notes par Louis Lacour.- [Paris : D. Jouaust, imprimeur, 1865].- 63 p. ; 13,5 cm.
    • Tiré à petit nombre et rien que sur ce papier à l'exception de huit exemplaires sur beau parchemin factice de couleur blanche.

ETUDE

LA mort de Monaldeschi a trouvé dans le P. Le Bel un historien naïf et de bonne foi. Son récit, imprimé au lendemain du crime, reçut dès lors la plus grande publicité, et jamais personne n'en a
contesté le caractère authentique. Les premières éditions furent données à l'étranger dans des recueils de pièces politiques. Divers compilateurs l'ont depuis popularisé chez nous en al­térant sensiblement la bon­homie du style. Le texte pri­mitif offre plus d'une tour­nure incorrecte qui, sous la plume des citateurs, est de­venue une période pompeuse et sonore. En rendant ici au fameux procès-verbal du P. Le Bel sa forme originelle, nous cherchons à donner une nouvelle preuve de notre respect pour les sources vraies de l'histoire.

Marc-Antoine Conti , dont nous publions aussi la relation, est beaucoup moins connu que le P. Le Bel. Cet excellent abrégé des faits n'a été mis en pleine lumière que dans ces dernières an­nées. Les deux récits se com­plètent l'un par l'autre. Le Bel est le crayonniste exact des plus minutieux détails de l'exécution, Conti l'homme d'état qui vient en exposer les causes.

Christine, âgée de trente ans en 1657, survécut plus de trente années à l'acte royal de Fontainebleau. Elle vit donc se former sur cet attentat l'opinion de la postérité et s'en émut peu. Poussant plus loin le laisser-aller, elle fut le premier cicérone de la galerie des Cerfs. Dans la semaine même du meurtre, le madri­galesque Benserade, venu près d'elle en courtisan, dut se laisser conduire sur le parquet encore ensanglanté et subir à cette place, de la bouche de la reine, le long récit du drame. Et comme il frissonnait à la fin : « N'avez-vous pas peur que je vous traite de même ?» lui demanda-t-elle.

Elle n'énonça jamais com­plètement la raison de sa conduite. Les conjectures les plus fondées, à l'avis des esprits sérieux, sont celles que Conti énumère plus loin. Les peines d'amour et la ja­lousie doivent être écartées de la série des griefs. Restée froide devant le corps ina­nimé de son favori, et in­sensible à son sinistre souve­nir, Christine ne regretta jamais que le pouvoir et l'autorité souveraine. C'est, à nos yeux, dans une trame politique qu'il faut chercher le noeud de la tragédie de Fontainebleau.

La royauté permit qu'il fût donné deux souvenirs presque officiels à la triste fin de Monaldeschi. A la place où il était tombé, une petite croix et l'inscription « DIEU » demeurèrent gravées sur le sol durant plus d'un siècle. La pitié de la foule voulut même long­temps reconnaître des traces de sang, souillure inadmissible en un lieu consacré aux cérémonies et aux fêtes de la cour. C'est en effet dans la galerie des Cerfs que sept ans après la mort de Monaldeschi, le cardinal Chigi , venu pour s'humi­lier devant Louis XIV, fut traité après son audience au son des violons de l'orchestre de la chambre.

Malgré la transformation en appartements subie plus tard par la galerie des Cerfs, une célèbre croisée ne se laissa pas oublier. On voyait naguère dans l'embrasure l'inscription que Louis-Philippe avait fait placer en remplacement des sigles mystérieux du temps jadis. Aujourd'hui, la gale­rie n'est plus visible ; mais, dans quelques années, dit-on, elle aura retrouvé son ancien éclat.

On respecta, en second lieu, la pierre tombale, donnée par Le Bel à « ce pauvre marquis » devant le bénitier de l'église d'Avon. Un des pavés soulevés pour faire place à ses restes reçut à la hâte, du premier ciseau venu, quelques caractères informes qui laissent lire ces mots dont nous repro­duisons la disposition :

C y. g i t .
M o n a d e l
x i .

Une balustrade de bois attire les regards sur cette épitaphe. Longtemps fou­lée aux pieds et en partie brisée, la pierre livre avec difficulté le secret de sa lé­gende. A côté, sur le même plan, plus décorative et beaucoup moins susceptible d'impressionner le visiteur, une dalle porte le commen­taire suivant, méthodique­ment gravé :

Église paroissiale d'Avon — le samedi 10 novembre 1657 à 5 heures 3 /4 du soir ont été — déposés près du bénitier les restes du — mar­quis de Monaldeschy — grand écuyer de la reine Christine de Suède mis à mort — dans la galerie des Cerfs du château de Fontai­nebleau — à 3 heures 3/4 du soir.

L. L.