jeudi 8 octobre 2009

Henri Pajon (17..-1776)


  • Contes nouveaux et nouvelles nouvelles en vers / Henri Pajon ; précédés d'une étude bio-bibliographique de Fernand Mitton.- Paris (2, rue des Fossés Saint-Marcel) : Aux éditions d'art de l'Intermédiaire du Bibliophile, MCMXXVIII [1928].- XIV-139 p. ; 15,5 cm.- (Conteurs libertins du temps passé ; 2).
    • Cet ouvrage, le deuxième des "Conteurs libertins du temps passé", a été tiré à mille exemplaires numérotés dont vingt-cinq exemplaires sur japon impérial (1 à 25) et neuf cent soixante-quinze exemplaires sur annam de Rives (26 à 1000). En outre, il a été tiré, sur japon ancien, une suite libre de six planches gravées à la pointe sèche, par Léon Courbouleix, et réservée aux cent premiers exemplaires. Exemplaire n°493.

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HENRI PAJON
ET LES
PETITS CONTEURS

SI l'on examine l'œuvre des Conteurs du Tempe Passé et plus particulièrement du XVIIIe siècle, on est frappé par la diversité et la technique particulière de ce genre de littérature. Le conte en vers, avec sa facture légère, retrace en quelque sorte les mœurs d'une époque ; mais il « n'appartient pas plus à la poésie que le roman historique à l'histoire ». La crudité des expressions, la négligence du style constituent les condi­tions indispensables à son existence.

L'évolution du conte en vers se divise en deux périodes bien distinctes. La première s'étend de 1675 à 1745, c'est-à-dire de La Fontaine à Piron ; les contes tirent alors leur origine des poèmes italiens et des fabliaux français du Moyen âge. La seconde va de 1765 à 1800 et les auteurs s'inspirent des faits plaisants et connus ou de bons mots colportés un peu partout.

Certains, par snobisme, ont affecté de mépriser ou d'ignorer, en les considérant comme futiles ou immorales, des œuvres parfois charmantes, un peu libres sans doute, mais qui se réhabilitent par leur verve et par leur esprit.

Les délicats conteurs, pour satisfaire aux fantaisies du moment, rivalisèrent de libertinage, de grivoiserie, de frivolité. Ils recherchèrent même la galanterie pimentée et, poussant quelquefois jusqu'à l'érotisme, s'ingénièrent à chanter la vo­lupté et les variétés de tous les plaisirs sensuels.

A côté des petits poètes de l'Amour, les grandes figures littéraires comme Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Diderot, Montesquieu, pour ne citer que les plus célèbres, sacrifiaient au goût du jour.

Toutes ces productions libertines ou licencieuses renchérissaient les unes sur lei autres. On les vendait partout sur des mannes : le long des ponts, sur les boulevards, à la porte des spectacles ; mais surtout sous les galeries du Palais-Royal, cet ancien Palais-Cardinal, offert par Louis XIV à Monsieur, son frère, et que Philippe d'Orléans, Régent de France, devait souiller de ses dé­bauches.

En dépit de son agrément, le conte en vers finit par disparaître, parce qu'il ne correspon­dait plus aux habitudes à qui prirent naissance après la Révolution.

De tous les Conteurs Galants du Temps Passé, seuls Grécourt, Dorat, Nogaret, Robbé de Beau­veset et le bouillant Piron ont survécu. Piron, surtout par ses Œuvres Badines et son Ode à Priape, œuvre de jeunesse, dont beaucoup igno­rent le texte et qui est devenue immortelle, avec ion auteur, parce que François Le Febvre, che­valier de la Barre, la récita, un soir d'orgie, devant un crucifix. Ce blasphème valut au jeune étourdi d'Abbeville, par arrêt du 20 février 1766, d'avoir la tête tranchée, son corps jeté au feu et ses cendres lancées au vent.

Nombre de ces conteurs, et des meilleurs, sont tombés dans l'oubli, comme les Vergier, les Vasselier, les Jean-Baptiste Rousseau, les Pajon. Il convient de les faire mieux connaître en rééditant leurs œuvres.

Henri Pajon vit le jour à Paris sans que ces biographes aient pu préciser la date de sa naissance. Après de brillantes études de droit, Pajon devint avocat au Parlement de Paris.

On trouve sa première signature au XVIIIe siècle, dans le Mercure de France du mois de juillet 1725 au bas d'une Épître envoyée à M. le.... par M. Pajon, pour lui demander d'entrer à son conseil. Il est permis de supposer que c'est à cetteépoque que le jeune homme se fit inscrire au bar­reau. Au cours de sa longue carrière, il écrivit, d'ailleurs, divers ouvrages juridiques.

Cependant, l'avocat Pajon aurait été sans doute entièrement effacé s'il n'avait pris la fantaisie de composer quelques romans et pièces de vers pendant ses heures de loisirs. Il acquit même une certaine notoriété en 1753 en publiant ses Contes Nouveaux et Nouvelles Nouvelles en vers dont il y eut plusieurs rééditions dont une la même année que l'originale.

Ces contes et nouvelles écrite avec maîtrise et traités avec beaucoup de souplesse et de clarté permirent à Henri Pajon de s'entourer de l'es­time littéraire de ses contemporains. Les sujets en sont généralement nouveaux et variés. Nous citerons notamment : La Bonne Compagnie, la Soubrette, le Van, le Carillonneur, la Che­mise, les Trois Chevilles, les Méneschmes, les Oiseaux, les Bonnes Tantes.

Henri Pajon envoyait régulièrement ses pro­ductions poétiques au Ministre des Affaires Etrangères, Voyer de Paulmy d'Argenson, qui les prisait particulièrement. On en trouve la confirmation dans une lettre du 21 juillet 1756, conservée à la Bibliothèque de l'Arsenal, et par laquelle le poète lui adresse « des vers sur un événement de son ministère » (Ode sur la prise de Port-­Mahon) et lui rappelle qu'il lui a fait « tenir tous ses ouvrages, y compris le Prince Joly ». Il y a lieu de penser que, cette foie, l'inspiration de l'auteur ne satisfît pas le ministre car en marge de la lettre il traça de sa main : « Répondu le 22 juillet. — Très médiocre. »

Henri Pajon ne connut jamais cette appré­ciation peu flatteuse du parquis d'Argenson, ce qui ne l'empêcha pas de s'exercer dans tous les genres de littérature comme on pourra en juger par celle bibliographie de ses Œuvres :

Histoire du Prince Joly et de la Princesse Feslée. Amsterdam 1740, deux parties en un volume in-12. Il y eut deux réédition de cet ou­vrage : l'une en 1743, l'autre en 1746.

Les Aventures de la Belle Grecque (Iphi­génie) traduites de l'anglais de milord Guinée (composées par H. Pajon). Paris Lesclapart, 1742, un volume in-12.

Histoire des Trois Fils d'Haly Bassa et des Trois Filles de Siroco, gouverneur d'Alexan­drie, traduite du turc (composée par H. Pajon). Leyde (Paris), 1796, un volume in-12.

Histoire du Roi Splendide et de la Prin­cesse Hétéroclite. Paris, 1748, deux volumes in-12.

Contes Nouveaux et Nouvelles Nouvelles en vers. A Anvers en 1753, un volume in-12. Titre gravé avec vignette représentant une tête d'âne surmontant une lyre. Édition originale dont on trouvera le texte intégral dans le présent ouvrage.

Contes Nouveaux et Nouvelles Nouvelles en vers. -Anvers, à l'Ane Rouge Lyrique, sans date (1753) un volume in-8, deuxième édition, devenue aussi rarissime que la première.

Contes Nouveaux et Nouvelles Nouvelles en vers. « Réimpression sur le texte de l'édition originale ». Luxembourg, Imprimerie particu­lière, 1866, un volume in-16.

Essai de poème sur l'Esprit. Sans lieu, 1757, plaquette in-8 de 16 pages.

Observations sur les Donations. Paris, 1761, un volume in-12.

Dissertation sur les articles XV et XVI de l'Ordonnance de 1731 concernant les Dona­tions. Paris, 1765, un volume in-12.

Henri Pajon a encore publié des Pièces Fu­gitives dans le Mercure de France, des années 1744 et 1747, sous le pseudonyme de Monsieur Jacques, marchand évantailliste.

En 1798, les Contes et Nouvelles de Pajon donnèrent lieu à une supercherie littéraire. Le libraire Vincent les réimprima sous le titre d'Œu­vres Posthumes et Facéties de Mirabeau le Jeune, deuxième édition, à Paris, chez Vincent, imprimeur rue des Jeûneurs n°1625, an VIII, avec un frontispice, non libre, un volume petit in-12. Cette réédition ne reproduit que trente-six contes, alors que l'édition originale en contient trente-­huit. On ne sait, si, dans sa pensée, l'éditeur attribua, réellement, ce recueil au Vicomte de Mirabeau qui avait déjà publié un volume de Facéties, (Côte-Rôtie, 1790, imprimerie de Boivin, deux parties en un volume in-12) ou s'il jugea plus avantageux de le mettre au compte du fameux Mirabeau-Tonneau, frère puîné du grand orateur de la Révolution Française : Honoré, Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, auteur du Libertin de Qualité ou Ma Conver­sion, ouvrage très licencieux.

Tel est le bagage littéraire d'Henri Pajon qui ne consacra pas moins un zèle honorable à sa profession d'avocat. Il s'éteignit à Paris, à un âge avancé, au cours du mois de mars de l'an­née 1776.

Paris, 7 mai 1928.

FERNAND MITTON.