samedi 19 décembre 2009

Prouille & Moulié


  • Les Poésies de Makoko Kangourou / publiées par Marcel Prouille et Charles Moulié avec un frontispice de Guy Tollac.- 5e édition.- Paris (53ter, quai des Grands-Augustins) : Dorbon ainé, 1910.- 59 p. : ill. en front. ; 20 cm.
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PRÉFACE

Au livre des Aventures du Roi Pausole, M. Pierre Louÿs avance que les pays prospères n'ont pas de géographie : rien de plus vrai. Mais il n'est pas moins vrai que les hommes heureux n'ont pas d'histoire. Et feu Makoko Kangourou, dont nous nous faisons ici les humbles cornacs, fut un homme heureux.

Né, en 1870, dans la république de Libéria, en Afrique, d'un ancien candidat à la présidence de la dite république et de l'esclave préférée d'un chasseur d'hippopotames, Makoko Kangourou eut une vie quelconque, remplie de peu d'événements et, d'ailleurs, assez courte. Comme son père était un personnage considérable, (il avait le droit de tuer et de manger les Blancs sans l'autorisation du Gouvernement), Makoko Kangourou, fut, selon la coutume de Libéria, envoyé à Paris, dès qu'il eût atteint l'âge de sept ans. A Paris, sous la surveillance d'une vieille demoiselle allemande et d'un interprète anglais, il suivit les cours du petit lycée Condorcet : ses professeurs prétendent qu'il ne fût jamais un élève hors pair, quoique docile ; et, à dix-sept ans, il était encore dans la classe de sixième. Mais chacun sait que les meilleurs poètes n'ont pas tous été des forts en thème.

A vingt ans, Makoko Kangourou se mit à lire nos auteurs : Baudelaire, Bertrand de Ventadour, Verlaine, Benserade, Gautier, Garnier, Hugo. Et, tout de suite, il eut envie d'écrire, lui aussi. Il écrivit quelques poèmes, les montra à ses amis et les envoya à l'un des Maîtres d'alors qui le félicita et lui répondit par ce billet flatteur :

" Paris, 17 janvier 1891.

"Mon jeune ami,

La feuille où se distille, avec quelle grâce de candeur, votre unanime chanson écrite, me semble fraîche, autour des expressions, même les incorrectes, qui gardent un air que vous seul avez. Outre que vous devinez la poësie incluse en tout, vous voici affronter, tout à l'heure, quelle hardiesse, la mélodie et précisément en sortir vainqueur. Ma main.

M.

M ?... Moréas ? Mendès ? Mallarmé ?... Nous n'avons pas connu Makoko Kangourou, et nous ne savons pas qui signa ces compliments : mais là n'est point l'essentiel.

A vingt-cinq ans, notre poète partait pour Libéria, où il allait mourir peu de temps après son retour. Il emportait avec lui la plupart de ses vers, et nous devons à l'obligeance d'un de ses intimes de publier ceux qu'on lira plus loin.

Voilà tout ce que nous pouvons dire sur cette figure étrange, sympathique et double qu'est celle de Makoko Kangourou. Maintenant, que le lecteur juge : notre tâche est finie.

M. P. et CH. M