samedi 15 décembre 2007

Georges Eekhoud (1854-1927)


  • Cycle patibulaire : deuxième série / Georges Eekhoud.- Paris (78, boulevard Saint-Michel) : La Renaissance du Livre, 1927.- 234 p. : couv. ill. ; 19 cm.
    • Il a été tiré de cet ouvrage : cinq exemplaires sur papier Japon hors commerce marqués H. C., et vingt-quatre exemplaire sur papier de la Société Royale Hollandaise de Maastricht, numérotés de 1 à 24.

AVANT-PROPOS

Nous avons fait ressortir dans l'avant-propos de la première série du Cycle que Mme RACHILDE ne se montrait pas moins férue de cet ouvrage que REMY DE GOURMONT. Dans sa chronique du « Mercure de France » Mme Rachilde disait :

« Le cycle est complet, et comme il tourne, dantesquement, en passant par toutes les démoniaques charités, du galérien pour le galérien, de la grande dame pour le voyou, du penseur pour celui qui ne sait pas, il est idéalement parfait. Ce ne sont pas des histoires au hasard contées par un littérateur démangé de faire énorme et scandaleux, c'est, dans un cercle de passions anormales mais sincères, l'évolution très exactement démontrée de l'amour universel. Cette démonstration peut mener loin ? Pas plus loin, je vous assure, que n'importe quel amour partiel et très ordinaire, en admettant, cependant, que cet amour soit de la passion au lieu de la grimace de la passion. L'amour digne de ce nom, c'est tous les amours en un seul, anormaux comme normaux, et Jésus-Christ, s'il a réellement aimé le monde du haut de son spécial gibet où les douleurs physiques, divinement ressenties, pouvaient lui procurer un avant-goût du sadisme, a dû l'aimer, et comme on aime une maîtresse et comme on aime un amant. Il suffira de lire attentivement le Moulin-Horloge du Cycle Patibulaire pour comprendre dans quel esprit de justice je me permets de hisser la signature de Georges Eekhoud jusqu'à l'ombre de la croix. »

EMILE VERHAEREN, saluant l'auteur dans l'Art Moderne du 18 septembre 1892 (1), disait :

« Dans le Cycle patibulaire le plein crescendo est atteint.

Le livre marque rouge. En une suite de nouvelles, tous les misérables du bois et de la plaine, du taillis et de la dune apparaissent : voleurs, canailles, pervers, meurtriers, brigands, rôdeurs, assassins, soudainement grands par l'idée qu'ils ont de leur révolte. Aucun de leurs vices n'est tu. Une vie fourmillante, criante de réalité, crue d'audace se manifeste ; elle empêche l'étude de s'empanacher d'exagération feuille­tonesque ; elle se burine sur un fond d'eau-forte, violemment, encre et craie.

En face des larrons, des traqués et des fouail­lés, qui, pour rester libres mènent une vie d'enfer, Eekhoud a dressé plusieurs types de femmes admirables de soumission et de fidélité totales. Telles figures sont d'une humanité toute de larmes et de bonté. Elles planent sur les récits comme de belles lumières. Leur psychologie tout autant que celle des parias auxquels elles ont voué leur âme se dévoile magistralement ajourée d'analyse. Et c'est Gentillie et c'est Blanchelive-Blanchelivette, caractères extrêmes, cœurs de résignation poi­gnante, chiennes de sacrifice, aussi simples et accueillantes devant la mort que devant la vie. Le drame obscur et âpre, tragique et familier de l'existence rebelle et pourchassée, est enfermé dans la cave de leur pensée pour n'en sortir qu'en phrases courtes, en actes audacieux et décisifs, en dénouements terribles et logiques. Le crime et le vice y apparaissent comme de belles fleurs écarlates. »

Et dans l'important chapitre de son Histoire des lettres belges d'expression française consacré à Georges Eekhoud, FRANCIS NAUTET se demandait :

« Comment analyser cette passionnée nouvelle du Quadrille où l'auteur pousse à fond, d'un mouvement décidé, la sonde avec laquelle il fouille l'âme humaine ? Nous renonçons à l'analyse du détail, nous ne serions pas compris Le lecteur digne d'être conduit jusqu'à certaines profondeurs passionnelles n'a pas besoin de notre aide. Il verra, en lisant, le païen faire irruption chez ce panthéiste convaincu, chez ce Flamand de culture et d'éducation chrétiennes. Un artiste de sa trempe, seul, pouvait montrer avec ce verbe, avec cette clairvoyance esthétique et cette franchise noble, un cas d'humanité permanent, masqué par les mœurs et refréné par elles. »

Vingt ans plus tard MAURICE BEAUBOURG disait dans la Société Nouvelle (décembre 1913) :

« Mon opinion sur Georges Eekhoud est bien simple, c'est que c'est l'un des plus puissants, des plus « séveux » romanciers et conteurs d'aujourd'hui. Je ne connais pas dans la littérature contemporaine de vivant plus inouï et plus forcené, dont la personnalité se projette aussi crûment et presque frénéliquement sur toute l'œuvre. Car si un autre vivant, Zola, par exemple, a besoin de s'étayer sur la science positiviste de Darwin et d'Auguste Comte pour dire ce qu'il entend, et n'aboutit par suite qu'à une œuvre de constat, lui ne s'étaye que sur sa propre nature et les idées dérivant de cette nature pour aboutir à une oeuvre de désir. Je crois qu'il faudrait remonter aux grands brosseurs de fresques de la Renaissance, à une sorte de Michel-Ange-Buonarotti, pour trouver l'équivalent d'un artiste affirmant avec une telle fougue et une telle certitude son tempé­rament, et la vision résultant de ce tempéra­ment, par-dessus la vie.

Le fanatique libertaire du Moulin- Horloge, de Blanchelive-Blanchelivette, du Tribunal au Chauffoir, l'étonnant flamand nationaliste et patriote de Communion Nostalgique, l'égali­taire farouche, si près cependant de la doctrine du Christ, et pour qui déjà, bien avant le Paradis, « les derniers sont devenus les pre­miers », aime le peuple, son peuple, beau, véridique, sincère, comme Sainte-Thérèse ou Saint-François d'Assise aimaient leur Dieu. »

OSCAR WILDE engageant un ami à lire le Cycle patibulaire, ajoutait que ce livre « con­tient une merveilleuse histoire (Le Tribunal au Chauffoir) qui m'est dédiée, » tandis que HENRI DE REGNIER écrivait à l'auteur :

« J'ai admiré dans votre beau livre votre robuste et âpre talent, la nette ordonnance de vos histoires, leur invention tragique et un style d'une couleur et d'un mouvement incompara­bles, les grands dons qui font de vous un haut écrivain, et que j'ai toujours admirés dans vos autres livres comme dans celui-ci. Ce sont de vibrantes pages que ce Tribunal au Chauffoir et ce Quadrille du Lancier et cette Gentillie et cette Hiep-Hioup, qui sont vraiment des chefs-d'œuvre de concision et de vie. »

(1) Etude reproduite dans le volume Pages belges, édition de la Renaissance du Livre.