jeudi 17 janvier 2008

Charles Nodier (1780-1844)


  • Franciscus Columna / Charles Nodier ; prélection de Clément Janin.- Paris (9, galerie de La Madeleine) : La Connaissance, MCMXXVII [1927].- 55 p. ; 20 cm.- (Le Rayon du Mandarin ; 4).
    • Le Rayon du Mandarin est une collection de volumes littéraires, établie pour le plaisir des Lettrés et Bibliophiles, par René-Louis Doyon, mandarin, et imprimée sur la maquette et par les soins de Charles Nypels maître-imprimeur à Maastricht (Hollande). Chaque volume comprend une prélection inédite. Chaque série comporte sept volumes qui sont tirés à 30 exemplaires sur papier van Gelder Zonen et 600 exemplaires sur vergé teinté de G. H. Bührmann. Le présent volume : Charles Nodier, Franciscus Columna, dont la prélection est de Clément Janin, fait partie de la première série sous le n°IV. Exemplaire justifié : 188.

PRÉLECTION DE CLÉMENT JANIN

CHARLES NODIER ? Un grand torse monté sur deux longues jambes, une tête fine, un visage souriant, un oeil malicieux, un esprit toujours en éveil, une curiosité qui ne se lassait jamais, une vaste érudition, un amour sérieux de la langue française, le goût de la page brève et vive, l'aver­sion du livre quand il s'agissait des siens, la passion du livre quand il s'agissait de celui des autres.

Voilà Nodier, en raccourci. Jules Janin en a fait un portrait fidèle dans son feuilleton nécrologique du 5 féfrier 1844 (Journal des Débats), feuilleton qui fut reproduit, à peine modifié, contrairement à l'habitude du critique, dans la préface à l'édition de Franciscus Columna ( Galerie des Beaux Arts, Techener et Paulin, 1844), puis repris, remanié et considérablement augmenté, dans le tome V de l'Histoire de la Littérature dramatique. C'est dans ces dernières pages que le bibliophile Janin parle du bibliophile Nodier :

« Sa passion pour les vieux livres avait remplacé toutes les passions de sa tête et de son coeur, et même au fond de cette ardeur à découvrir les pages brillantes du temps passé, il mêlait, faut-il le dire ? une certaine prévoyance. ...Plus d'une fois, non sans peine et sans regrets, il mit en vente sa chère et douce bibliothèque. « Amis, disait Scaliger, voulez-vous connaître un des grands malheurs de la vie, eh bien, vendez vos livres ! »

« Charles Nodier poussait la vente jusqu'au stoïcisme. Il paraît son livre avec le zèle et le soin de M. Grolier lui-même, à ce livre, ressuscité par sa tendresse infinie, il ajoutait son chiffre et son nom, il le décrivait dans son catalogue (et le cata­logue aussitôt devenait un charmant, un savant livre), enfin, le bel exemplaire appartenait au dernier enchérisseur... Il se contentait de gagner un peu d'argent à vendre ainsi ses plus rares dé­couvertes dans les hasards de la bibliographie et, vendu la veille, il rachetait le lendemain. »

Ceci est très exact. Nodier avait, au plus haut degré, la « fureur » bibliophilique, ce qui ne l'em­pêcha pas de faire deux ventes de son vivant. Nous reconnaissons à ce trait le bibliophile de la toute derniere couche. Mais peut-être y a-t-il entre Nodier et la légion des spéculateurs qui nous en­tourent, une différence appréciable. Je dirai même qu'il y en a plusieurs.

La première est que le bon Nodier n'était pas riche. Sa correspondance avec son ami Charles Weiss, de Besançon, est presque aussi remplie de tracas financiers que celle de Balzac. Il avait des dettes, les dettes de l'homme de lettres, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, — ceux-ci exceptés, — et ses achats de beaux livres ne con­tribuaient guère à les éteindre. Il était donc, à certaines heures, obligé de s'en séparer.

La deuxième est que Nodier était poète, conteur, linguiste, bibliographe, savant en histoire naturelle. Il collectionnait à ses débuts, les insectes, avec la même méthode scientifique que les livres. Et cette seconde passion, la première en date, l'entraînait souvent à des dépenses excessives. N'offrait-il pas un demi franc pour chaque exemplaire des espèces rares qu'il ne possédait pas ? Dix sous un... (je ne me risquerai pas dans les noms), que des marins rapportent de pays presque inconnus, quelle pro­digalité !

La troisième différence est que Nodier, qui ven­dait ce qu'il avait acheté par prévoyance, selon l'euphémisme de Janin, rédigeait lui-même, ou sur­veillait de près la rédaction de ses catalogues, lesquels dénotent une érudition et un goût hors de pair. Il surveilla de même les catalogues des ventes de son ami de Pixérécourt, de Croizet, et de l'espagnol de Sampayo (car Nodier avait fait un dictionnaire français-espagnol et espagnol-fran­çais, comme il avait rédigé un dictionnaire de la Langue française, avant, naturellement, celui de l'Académie).

Sa première vente est de 1827, « le 6 juin et jours suivants, à 6 heures de relevée » salle Syl­vestre. Ce catalogue est bien curieux.

Il compte 398 numéros et le libraire J. S. Merlin qui signe la préface, annonce qu'un grand nombre d'ouvrages sont accompagnés de notules de M. Ch. Nodier, « mais qui ne doivent pas entrer en consi­dération dans la mise à prix des livres auxquels elles sont attachées, et qui ont servi pour les Mélanges tirés d'une petite bibliothèque », ouvrage qui parut en 1829.

Cette précaution préfacière pourrait passer pour une habileté, si Nodier ne donnait pas l'impression d'un homme absolument sincère. Non, vraiment, il ne devait pas croire que ces notules sur chine volant, dussent donner du prix à ses livres, puisqu'il jugeait ses productions avec le plus inexplicable détachement : « Je n'ai jamais rien souhaité de voir effacé, confiait-il à son ami Weiss, sinon le souvenir des pages que j'ai eu le malheur d'écrire. »

Croyons-le donc, – mais sous bénéfice d'inven­taire toutefois. Il ne manquait pas d'adresse, le bon Nodier ! Que penser en effet, de cet article du catalogue :

BIBLIOGRAPHIE ENTOMOLOGIQUE...
par Ch. Nodier, Paris... an IX.

« Essai fort imparfait, mais fort rare, d'un écolier de quatorze ans. J'étais propriétaire de l'édition et je l'ai détruite avec tant de soin, qu'il n'en reste certainement pas 4 exemplaires. »

Voilà, certes, un admirable lancement ! Mais n'oublions pas que Nodier vendait sa bibliothèque, pour des raisons valables et touchantes, — la maladie des siens et son propre état valétudinaire, — et pouvait-il détruire l'un des 4 exemplaires de cette oeuvre de sa prime jeunesse ? Il n'en avait pas le droit, puisqu'il lui fallait de l'argent.

La deuxième vente eut lieu le 28 janvier 1830. Elle comprenait 917 numéros et voici la raison que J. S. Merlin donne de cette vente :

« Aujourd'hui, c'est sa bibliothèque entière qu'il offre aux amateurs, car celle qu'il se réserve de former à l'avenir pour ses études sera réduite à un plan très spécial et très restreint. »

La raison est de Nodier, mais le charabia de Merlin : une bibliothèque réduite à un plan très spécial et très restreint, c'est une phrase qui dut faire frémir l'admirable styliste qu'était l'auteur de L'Histoire du roi de Bohême et de ses sept cha­teaux, livre plein d'esprit et d'une richesse d'inven­tions typographiques sans égale.

Mais Merlin continue, avec plus de correction syntaxique cette fois :

« Il n'est pas 20 articles peut-être où l'on ne reconnaisse soit une singularité littéraire, soit une curiosité de bibliographie, une rareté ou même une unité typographique, soit une conservation parfaite, soit enfin des accessoires précieux, tels que vignet­tes, dessins originaux, lettres autographes, signa­tures, notes de savans, etc. »

Quand je vous le disais que Nodier était un bibliophile moderne ! Ce qu'il était l'un des pre­miers à faire, ce que l'on a nommé le « truffage » du livre, tout le monde le fait aujourd'hui. Nous en trouvons des exemples dans la vente de 1829, témoin cette Satire Ménippée (Didot, 1824) que Merlin affublait de cette bizarre description :

« Exemplaire unique, avec les 9 dessins origi­naux de Devéria, dont 6 à la mine de plomb et 3 à la sépia, les triples figures (!) avant et après la lettre sur papier de Chine et les eaux-fortes. »

Cela signifie sans doute, que les eaux-fortes sont également sur Chine. Mais qu'est-ce que les triples figures ?

La troisième vente eut lieu le 27 Avril 1844. Le bibliothécaire de l'Arsenal, dont le cabinet avait été le berceau du romantisme, était mort le 3 Jan­vier précédent, et la veille, bien que souffrant terriblement, il avait encore collationné page à page un exemplaire des Poësies de Cantenac, que Techener lui avait apporté :

— Ah ! bien, dit-il, les passages supprimés s'y trouvent ! »

Ce fut sa dernière joie.

Cette vente portait sur 1254 numéros. Elle se composait d'exemplaires hors-ligne, des éditions les plus rares dans le conditions les plus exception­nelles et avec les reliures les plus précieuses. Le motif qu'il donnait de la vente de 1830, se débar­rasser de livres devenus inutiles, afin de « former une bibliothèque d'étude sur un plan spécial et restreint » était bien le vrai. Il avait constitué sa nouvelle bibliothèque par séries : séries des Rabe­lais, des Moyens de Parvenir, du Cabinet et du Parnasse satirique, série patoise, série des livres macaroniques, etc. C'était un grand bibliophile, en même temps qu'un honnête homme. Amicus Plato sed magis amica veritas, on citait encore beaucoup de latin, dans la première moitié du XIXe siècle.

Mais demanderez-vous, lecteur ironique, quel rapport y a-t-il entre le bibliophile dont vous nous parlez et ce Franciscus Columna que vous aviez mission de préfacer ?

Quel rapport ? Intime ! Ce conte délicieux ne pouvait être écrit que par un bibliophile doublé d'un bibliographe. Lui seul pouvait connaître Le Songe de Poliphile, rarissime en sa première édi­tion, avant la réimpression de Lisieux, qui traduisit et vulgarisa cette oeuvre, en 1883 ; lui seul en pouvait parler avec l'enthousiasme qui convient. L'abbé Lowrich, mais c'est Nodier ! Tournez la page et vous en serez convaincu.

CLÉMENT JANIN.