samedi 29 novembre 2008

Pierre-Jean-Baptiste Nougaret (1742-1823)


  • La Capucinade / P. J. B. Nougaret ; préface de Henri Frichet, illustrations de Maurice L'Hoir.- Paris (26, rue du Delta) : Editions de la Grille, IV-201 p. : ill. ; 19,5 cm.- (Les bibliophiles libertins ; 3).
    • Il a été tiré de cet ouvrage, le troisième de la Collection "Les Bibliophiles Libertins" : Trente exemplaires sur Hollande de Pannekoek, numérotés de 1 à 30 et deux mille cinq cents exemplaires sur Vélin Alfa, numérotés de 31 à 2530. Exemplaire n°466.

PRÉFACE

La vie de Pierre Jean-Baptiste Nougaret — l'au­teur de la Capucinade, cette histoire sans vraisem­blance (qui fit mettre notre plumitif à la Bastille en 1765), est à peu près inconnue. « Pour vivre heureux, vivons caché, » dit-on. Or, Nougaret vécut si bien caché et, probablement si heureux, que son histoire est contée en quelques lignes dans les dic­tionnaires les mieux informés. Ils nous apprennent qu'il naquit à la Rochelle en l'an de grâce 1742 et qu'il mourut à Paris en 1823.

Son éducation était fort ordinaire, mais il avait une verve endiablée.

Se trouvant à Toulouse chez un de ses parents, il débuta à dix-huit ans, dans la littérature en faisant représenter sur le théâtre de cette ville une petite comédie en vers : l'Incertain, imitée de l'Irrésolue de Destouches et qui eut du succès. Venu à Paris en 1763, il publia un supplément de la Pucelle de Voltaire. Emprisonné à l'occasion de cet écrit, cela le mit en vogue auprès des libraires qui, exploitant sa misère, lui firent, pour de très médiocres sommes, composer nombre d'obscénités.

Quelque temps après, Nougaret adressa à Vol­taire une héroïde : L'ombre de Calas. Le grand écri­vain accueillit cet hommage et encouragea l'auteur à suivre une carrière qu'il commençait si bien. Il n'en fallait pas tant pour y déterminer le jeune Rochellois. Il avait déjà considérablement écrit, et pourtant son escarcelle était vide lorsque éclata la Révolution. Ce n'était plus la saison des pastorales ni des gaillardises. Nougaret le comprit et fut assez heureux pour obtenir une place dans les bureaux de la Commune de Paris. Nous disons heureux, car sa position lui permit de sauver la vie à nombre de suspects. Chargé ensuite de plusieurs missions secrètes en province, il devint chef de bureau de surveillance. Il dévoila quelques complots royalistes assez dangereux, cependant on le congédia comme modéré. Depuis lors, dégoûté de la politique, il ne quitta guère son écritoire.

Une centaine d'ouvrages sont sortis de sa plume ; celui qui fut le plus lu et le plus estimé est intitulé : Anecdotes de Constantinople. Il l'écrivit à 67 ans ; le livre amusa beaucoup nos ancêtres au temps des beaux jours et des belles nuits du Premier Empire. Mais la Chandelle d'Arras, poème d'une grivoiserie échevelée, est, sûrement, ce qu'il a conçu de plus original et de plus polisson.

Nougaret peut-il être considéré comme un auteur érotique ? Non, certes. C'est un comique. S'il a célé­bré en vers et en prose, selon le joli mot de Musset, « Cet éternel péché dont pouffaient nos aïeux » il n'a nulle intention d'exciter la concupiscence par des tableaux lascifs. Il veut rire et faire rire. Les si­tuations scabreuses qu'il peint d'un pinceau plaisant ne sont point lascives ; elles sont cocasses. Cet enfant de La Rochelle pourrait être né sur le vieux port de Marseille ; aussi bien, dirait-on qu'il a reçu tout jeune un de ces gentils coups de soleil proven­çal qui mettent le cœur en joie pour toute une exis­tence et la galéjade sur les lèvres.

La vie passe , c'est une vérité de M. de la Palice elle passe même très vite. « Frères, il faut mourir ! » tel est le refrain des moines ; eh, pardieu, oui, il faut mourir ! Nougaret dit : « Frères, il faut jouir ! Il faut rire surtout de peur de mourir sans avoir ri » ; et il se désopile la rate tant qu'il peut. Quel entrain, quelle joie, que de bouffonneries ! Les Capucins qui, parait-il, s'engraissaient alors aux dépens des dé­vots, excitent sa verve ; et ils apparaissent, sous sa plume, comme de bons drilles qui, sans renoncer à certains plaisirs, vivent dans une sainte oisiveté.

On se tromperait étrangement en prenant la Ca­pucinade pour un pamphlet antireligieux. Nougaret est le contraire d'un sectaire , il ne ricane pas, il s'esclaffe ou sourit...

Esprit sceptique et badin, il ne croit guère toute­fois à la continence d'hommes jeunes et vigoureux, seraient-ils capucins, qui se nourrissent de poular­des succulentes, de dindes truffées et vident les meilleurs flacons de notre vieux Bourgogne natio­nal et théologal.

Nougaret est un petit-fils de Rabelais, du moins quant à la gauloiserie, un Français de vieille roche qui estime la vie pour ce qu'elle vaut, ni plus ni moins, et pour ce qu'elle dure — hélas ! Mais pen­dant les jours de vanité que Dieu nous a donnés sous le soleil, l'agréable drôle ne « veut pas s'en faire », comme l'on dirait aujourd'hui. Il a bon bec et sa philosophie tout épicurienne est d'une ba­dauderie charmante , pourvu qu'il ait le ventre libre et la langue vermeille, le reste, pour lui, est de la littérature.

Cet écrivain du second rayon n'a jamais cessé de barbouiller du papier... A soixante-dix ans, il écri­vait des calembredaines qui l'amusaient, qui amu­saient ses contemporains. Elles amusent encore...

HENRY FRICHET.