dimanche 22 juillet 2007

Brins de plume


  • Réflexions sur l'Imitation de N.S.J.C. / Paul de Molènes ; [préf. de Barbey d'Aurevilly et postface par le général du Barail]. - Paris : Maximilien Vox, 1945. - 56 p. ; 17 cm. - (Brins de plume ; 8).
    • Mille exemplaires sur B.F.K. Rives tirés par Daniel-luxe à Lille pour Union Bibliophile de France, 76 rue Bonaparte, Paris. [Exemplaire] N°23.

[Postface]

ECRIVAIN de race, condisciple, au collège Henri IV, du duc d'Aumale, Paul de Molènes était entré assez tard dans la vie militaire. Après la révolution de Février, il s'était engagé dans la garde mobile, où il était devenu sous-lieutenant. Aux journées de Juin, il eut l'épaule traversée par une balle, en enlevant, à la tête de sa compagnie, une barricade dans le faubourg Saint-Antoine. On le décora. Cette croix et cette blessure en firent un soldat. Engagé aux spahis, il fut classé dans mon escadron, mais n'y parut jamais, car il resta à Alger, comme secrétaire à l'état-major, jusqu'à sa nomination d'officier, qui ne se fit pas attendre. Nommé sous-lieutenant, au moment où éclatait la guerre d'Orient, il partit avec le détachement que le régiment fournissait à l'armée. Le général Canrobert, qui l'a toujours beaucoup aimé, se l'attacha comme officier d'ordonnance et le chargea particulièrement de veiller à la sûreté du colonel de la Tour du Pin, qui, devenu complètement sourd et presque aveugle, incapable, par conséquent, de remplir un emploi, faisait la guerre pour son compte, par plaisir, en volontaire, avec le seul souci de se fourrer au plus épais de toutes les bagarres. Le général, qui l'avait recueilli à son état-major, lui disait après chaque affaire : « La Tour du Pin, vous vous ferez tuer un de ces jours, et j'ai déjà composé votre épitaphe : — Ci-gît un preux du Moyen Age égaré dans nos rangs. »

L'épitaphe allait servir. A l'assaut de Malakoff, La Tour du Pin, blessé, fut emporté du champ de bataille. Il survécut peu de temps à sa blessure. De Molènes était devenu son inséparable, et il a fait revivre son souvenir dans des pages d'une haute éloquence. L'amitié d'un tel homme et la bienveillance du maréchal Canrobert sont de beaux titres pour un soldat.

Conteur étincelant, littérateur de grande envergure, de Molènes était cependant incapable de fixer son esprit distrait sur les choses du métier. C'était un guerrier d'instinct, et non un militaire. Comme lieutenant-colonel, je lui faisais, ainsi qu'aux autres capitaines, un cours de théorie. Je n'ai pas pu lui faire entrer dans le cerveau une parcelle de cette théorie. Il comprenait tout de travers, et invariablement le contraire de ce qu'on lui expliquait. Rêveur, imaginatif, jusqu'à idéaliser l'aventure la plus vulgaire de garnison, épris d'idéal, réfractaire à la réalité et aux choses qui ne demandent que du sens commun, avec de grandes prétentions à l'élégance, un culte de l'excentricité et une susceptibilité presque maladive : tel était de Molènes. Il quitta les chasseurs de la Garde pour se marier avec une jeune femme charmante qui était elle-même connue dans les lettres, passa, lors de la campagne d'Italie, à l'état-major du maréchal Canrobert, fut nommé chef d'escadron au 8e chasseurs, après la guerre, et se cassa la tête contre un mur en essayant un cheval au manège. Pauvre de Molènes !

Souvenirs du Général du Barail.