mercredi 16 janvier 2008

Claude Le Petit (1640-1665)


  • La Chronique scandaleuse ou Paris ridicule / Claude Le Petit ; prélection de René-Louis Doyon.- Paris (9, galerie de La Madeleine) : La Connaissance, MCMXXVII [1927].- 66 p. ; 20 cm.- (Le Rayon du Mandarin ; 3).
    • Le Rayon du Mandarin est une collection de volumes littéraires, établie pour le plaisir des Lettrés et Bibliophiles, par René-Louis Doyon, mandarin, et imprimée sur la maquette et par les soins de Charles Nypels maître-imprimeur à Maastricht (Hollande). Chaque volume comprend une prélection inédite. Chaque série comporte sept volumes qui sont tirés à 30 exemplaires sur papier van Gelder Zonen et 600 exemplaires sur vergé teinté de G. H. Bührmann. Le présent volume : Claude Le Petit, La Chronique scandaleuse ou Paris ridicule, dont la prélection est de René-Louis Doyon fait partie de la première série sous le n°III. Exemplaire justifié : 105.

PRÉLECTION DE RENÉ-LOUIS DOYON

LE POËTE DANS LES PAYS DE LIBERTÉ

En ce qui concerne la vie de Claude Le Petit, on ne peut rien écrire de plus poussé ni en évoquer un trait, sans rendre hommage au scru­puleux érudit Frédéric Lachèvre qui a exhumé les biographies et les textes des Libertins du XVIIe siècle avec précision, étendue, et con­science. Il s'agit ici de rappeler, pour en tirer des comparaisons opportunes, les traits sommai­res de cette vie brève et tragique, si propice à tenter les écrivains contemporains qui font des vies connues, époussetée et changées d'étiquette, un genre, un sport facile et productif ; M. Fré­déric Lachèvre a tout découvert, tout éventé ; il suggère même des hypothèses ; cet écrivain minutieux, moral et traditionnaliste (dans le sens politique) a fouillé tout l'enfer du XVIIe siècle ; ce faisant, il a retracé la vie de buveurs, coureurs de ruelles, fornicateurs forcenés, inver­tis notoires, libertins de grande allure et liber­taires de style ; véritable historien, il transcrit les procès-verbaux, consigne les dates, compare et ventile les textes, note la moindre scolie, in­dique les meilleures leçons, mais mieux que M. joseph de Maistre, il a plutôt de l'estime pour le rôle redoutable du bourreau, parce qu'il est sectateur du dogme et respectueux du sceptre. Il est permis sur un travail aussi complet — et c'est en montrer l'intégrité — d'avoir une idée différente des hommes, des principes et du temps, et par surcroît moins d'impassibilité.

Claude Le Petit parcourut l'Europe en bo­hême et en parasite, afin de mettre des conve­nances kilométriques entre la justice du roi et lui, à l'occasion du meurtre d'un moinillon augustin, rival dans une affaire de cotillon ; ce jeune pèlerin de l'Europe revint à Paris, cou­rant d'incertitudes en aléas et assurant le né­cessaire par des expédients. Etre poète, jeune, beau, n'aimant point la professoin de tailleur exercé par les siens, voluptueux et paresseux comme il convient à l'art léger des vers, Claude Le Petit avait soif et faim, et en dépit des moeurs d'un siècle sâle, il aimait à s'assurer une cham­bre et un lit. Il a la pensée infuse comme tous ceux qui ont conscience des dons qui leur sont impartis, à savoir que le poète a un grain de supériorité sur le manant et sur le seigneur, et que le riche doit être non seulement la provi­dence du pauvre, mais aussi le banquier des artistes s'il veut que sa maison soit honorée et que son nom passe à la gloire des temps futurs -, d'ailleurs on sait des poètes, et non des moin­dres, qui escomptaient leur privilège non seule­ment pour obtenir des pensions, mais pour faire triompher leur passion :

« ...Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurai dit ! »

Claude Le Petit prenait le plaisir à meilleur compte, étant pauvre, en dépit des dons impré­vus, des gains irréguliers, des emprunts à fonds perdus et des tapages. La pauvreté n'est pas un vice, certes, mais comment souffrir gaiement les jours sans repas, les longues heures sans bon vin, les hivers et les voyages sans vêtements soli­des. Nombre d'écrivains de son temps vivaient, non du revenu de leurs travaux, mais des pro­duits de leurs flatteries aux puissants du jour : ceux qui n'obtenaient pas une pension ou un emploi — car le succès du libraire n'enrichissait point — étaient condamnés à mourir de faim ; d'où l'on peut déduire un amer paradoxe en, partie justifié et toujours d'actualité :

Le poète sans fortune personnelle, n'est-il pas condamné à vivre en parasite ?

Claude Le Petit ne s'est point posé le pro­blème et l'a résolu au mieux des rencontres ; ni l'Etat ni les puissants ne lui ont garanti des rentes régulières et il semble qu'il ait tracé sa portraiture en ces vers :

Quand vous verrez un homme avecque gravité,
En chapeau de clabaud promener la savate
Et le col étranglé d'une sale cravate
Marcher arrogamment dessus la chrétienté ;

Barbu comme un sauvage, et jusqu'au col crotté,
D'un haut-de-chausse noir sans ceinture et sans patte
Et de quelques lambeaux d'une vieille baratte
En tout temps, constamment, couvrir sa nudité ;

Envisager chacun d'un œil hagard et louche,
Et, mâchant dans ses dents quelque terme farouche
Se ronger jusqu'au sang la corne de ses doigts ;

Quand, dis-je, avec ces traits vous trouverez un homme,
Dites assurément : « c'est un poëte françois ! »
Si quelqu'un vous dément, je l'irai dire à Rome !

De nombreux écrivains se reconnaîtraient à ces traits s'ils devaient compter sur leur art pour satisfaire aux nécessités quotidiennes ; l'histoire a toujours enrégistré le nom de ceux qu'une mort malheureuse a libérés de ces atroces soucis. Claude Le Petit en dépit des incertitudes, de ses déplacements, de ses fortunes et de ses misè­res apparaît comme un franc paillard, un tem­pérament subversif, un libertin ; il est vraisem­blable que sa société devait offrir de périodiques et irréguliers inconvénients ; il valait mieux être pour lui un ami qu'on rencontre, avec qui l'on vide un pichet mais pour qui l'on est toujours invité le soir même, prêt à partir, sans cesse dépourvu d'argent ou encombré de sa belle fa­mille. Villon offrait-il des relations plus sûres, et Verlaine, in fine, plus propres ? N'empêche que ce jeune avocat devait avoir d'autres mo­ments que ceux du tapeur affamé ; il était bril­lant, satirique, plaisant, il eut des confrères et même des amis ; à preuve que l'un d'eux, Jean Rou, abondamment nourri du plus aigre lait de la vache à Colas n'oublia point, après la mort de Claude, de moraliser sur le cas de son immo­raliste défunt et même de lui dérober un livre traduit de l'espagnol : L'idée d'un prince chré­tien et politique représenté en cent emblêmes par don Diego Saavedra Faxardo... Le libertin avait du bon cette fois.

Claude Le Petit s'inquiétait cependant de la précarité de son état de poète sans sinécure ; il tenta même, en un temps où les doctrines de la grâce divisaient la catholicité, de traduire en vers Les plus belles Pensées de Saint Augustin, prince et docteur de l'Église publiées seulement quatre ans après sa mort. A parler franc, la Chronique scandaleuse allait mieux à son style ; Paris-Ridicule, Madrid-Ridicule, et ce qui de­vait suivre : Berlin Ridicule et Londres aussi. Voilà le résultat les observations et les voyages de ce coureur des pays et des garses ! Les deux premiers framgents de cette chronique interna­tionale Paris et Madrid, sont en vers, une sorte d'Europe galante bien avant la lettre, dont les cités réunies composaient ce curieux ensemble : Le Bordel des Muses ou les Neuf Pucelles pu­tains, caprices satiriques de Théophile-le-Jeune. Tel était le titre du recueil qu'acheva Claude Le Petit en 1662 ; le patron répondait du disci­ple ou pour mieux dire, le disciple ne laissait point ignorer ce qu'il présentait, en choisissant pour patron le grand et malheureux Théophile ; bravade héroïque aussi aux moralistes du Palais et de la Cour.

Par hasard ou par délation, la police eut vent de ce travail attentatoire à la sûreté de l'Etat, de Dieu et de la Sainte Vierge ! Lefèvre de Saint-Marc a donné de cette découverte poli­cière une version romanesque et dramatique que M. Lachèvre récuse en s'appuyant seulement sur le procès-verbal du lieutenant civil Daubray, oubliant, de bonne foi sans doute, que les justi­ciers couvrent et cachent leurs délateurs, de quelque honarbilité qu'ils soient ; le récit est toutefois trop vraisemblable pour le taire, car si M. Lachèvre croit à M. Daubray, nous ne pou­vons pas ignorer la dénonciation.

Voici les faits : le poète habitait une chambre sur rue ; en son absence et ayant laissé une croisée ouverte le vent dispersa les épreuves déposées sur une table et un feuillet s'envola ; un prêtre qui passait le ramassa, le lut avec scandale, repéra la maison et courut sur le champ chez le Procureur du Roi, le jour même on arrêta Claude Le Petit et son imprimeur ; en moins d'une semaine, le procès fut instruit, jugé et confirmé ; et le Ier septembre 1662 -­pour avoir écrit un livre libertin — un poète de 23 ans était conduit nu en place de grève, avait le poignet droit arraché, et, après ces amé­nités judiciaires, était brûlé vif !

Cette infâmie s'appelle justice et le fait d'écrire quelques vers licencieux ou d'avoir quelques vices constitue le crime. Cette justice redoutable dans un temps où fleurirent tant de licences, d'abus, de crimes sociaux et nationaux, déconcerte. Il ne s'est trouvé personne pour pré­server de la pire mort un jeune poète ; aucun des serviteurs de la majesté chrétienne de Louis XIV, aucun courtisan de sa vanité, aucun ami de la poésie et la liberté n'est intervenu en fa­veur du fils d'Apollon, et n'est allé demander grâce, pour celui qui avait traité rudement les vierges de putains, dans ce Louvre, ce Luparium royal qui fut plus souvent un véritable Lupa­narium !

Sans doute le zèle policier des Daubray et des Laubardemont, de tous les temps a fait des victimes ; sans doute la justice de tous les pays a quelque arbitraire, disons même que la liberté est toujours en partie illusoire et qu'il ne faut la juger quand on en parle — qu'avec des échelles de comparaison ; de gandes infâmies financières ont été il y a encore peu d'années, couvertes par le manteau de Thémis ; on a vu plus près de nous, des incarcérations extraordinaires de grands dignitaires de la République couvrir l'in­terdiction d'une respectable veuve de qui un gendre cupide eût achevé les jours pour garder intacts les précieux millions, soit ; mais en France, au moins, on ne saurait, en temps nor­mal, condamner au bûcher, à la guillotine ou au poteau, un Rimbaud pour venir troubler la fai­ble conscience d'un Verlaine, celui-ci pour écrire Ombres, un pauvre Haraucourt pour sa Légende des Sexes, Jehan Rictus qui en a dit plus que Le Petit, Léon Bloy le contempteur, Mac-Orlan pour ses traités érotiques, un Léon Daudet cou­pable de L'Entremetteuse fallacieusement mora­lisée dans son dénouement, et tant d'autres.

Beau temps que le nôtre où l'inversion forme dans la littérature une manière de fraternité oc­culte qui a ses thuryféraires et ses clients ! beau temps que le nôtre où l'on peut, sans risquer les oubliettes, conter le dernier souffle d'un Pre­mier Magistrat de la République sur les lèvres — si l'on peut dire — d'une courtisane mon­daine ; chansonner la mort d'un autre magistrat non moins important de la même République aux prises avec un Ganymède monmartrois sans dégoût ! beau temps que le nôtre où le Français moyen sait que la grande presse d'information internationale pétrit l'opinion en ne donnant qu'un dixième de toute vérité et que c'est dans les journaux humoristiques qu'il doit trouver le contre-pied des évènements falsifiés ! Mais quel temps curieux et quel pays libéral où l'adver­saire le plus résolu de la République injurie tous les jours ministres, juges et écrivains qui ne pensent point à sa façon, a pu traduire devant les tribunaux du régime qu'il abhorre des fonc­tionnaires de la Sûreté, être condamné sans exé­cuter sa peine, hurler tous les jours à la gabegie et à la ruine et ne risquer à aucun moment de finir en Mateotti !

Décadence pour décadence, nationalité pour nationalité, je préfère encore vivre maintenant en France sous la 3ème République, sous le régime des plus incohérents parlementaires que regretter le grand roi et ses valets, ou envier l'Italie, son roi fantôme et son duce. Ceux qui contemnent notre pays et notre régime au lieu de s'accrocher à notre terre comme des acarus n'ont qu'à franchir les frontières ; la République débonnaire et souriante ne gênera aucun exode. Tous les jours les cabarets raillent et amusent ; les plus grandes libraires réalisent d'honora­bles profits à vendre les écrits érotiques, de Sade, Musset, Verlaine, Apollinaire et autres ; nul citoyen n'est inquiété dans ses opinions ou dans sa foi ; sans doute l'œil bouche de la police est ouvert et entretient à gage écrivains déla­teurs, excitateurs et autres mouches vénéneuses qui contaminent quelques infortunés idéologues ou aventuriers ; la société réquiert de ses adhé­rents une sorte de compromis général qui n'est pas sans inconvénient, et les précautions socia­les peuvent d'arbitraires devenir tyranniques ; toutefois la France donne à ses citoyens plus de garantie que tout autre pays ; ailleurs on craint la schlague, la morale publique ou la reli­gion d'état : les poëtes nord-américains sont cen­surés comme un vulgaire film cinématographi­que et ne peuvent parler d'amour qu'en termes évangéliques et des corps humains qu'en spor­tifs -, des écrivains anglo-saxons s'impriment hors des pays désignés pour les lire ; d'autres ne connaissent le succès qu'importés de l'étran­ger. En ce qui concerne nos écrivains, on ne voit plus de poursuites ou de procès honteux contre Madame Bovary, Les Fleurs du Mal et les Diaboliques ! On peut lire dans des impres­sions publiques L'Immoraliste et personne ne s'en porte plus mal. C'est du progrès. Il semble même que l'utopie de Pausole soit presque réa­lisée chez nous et qu'à la condition de n'en­nuyer aucun voisin et de gêner en rien la circu­lation publique, le citoyen français est certaine­ment le plus libre habitant de l'Europe et du monde. Qu'on veuille me démentir sur ce point ! Un pays qui n'est pas libre n'est pas digne de la liberté.

Qu'on n'aille pas supposer qu'il s'agisse ici d'un éloge de la littérature érotique ; ce genre est le plus souvent déplorable surtout lorsqu'il est scatologique et hypocritement didactique, il est vraiment supportable lorsqu'il est à la fois léger et gaillard, artistement polisson et prime­sautièrement descriptif. Nos fabliaux et nos sot­ties en sont les types les plus solides ; et nombre de nos grands poëtes Ronsard, Mathurin de Regnier, le rigide Malherbe lui-même se sont amusés à des poëmes roboratifs. Quant aux ro­mans et dialogues érotiques du XVIIIe siècle, ils n'ont pas été égalés et je tiens pour son chef d'œuvre et pour un chef d'œuvre de métrique, d'invention et d'images Ombres de Verlaine. Notre puratinisine est ridicule ; les mots font frémir les pharisiens de notre monde et ce ri­gorisme a des répercussions imprévues ; n'a-t-on pas vu sur les murs de Paris, une affiche sur quoi était dessinée une femme à peu près devêtue, maculée d'étiquettes opposées par la Ligue des Pères de famille portant cette apostrophe. Respectez nos enfants ! Peut-on être plus ridicule ! Le même pays voit fleurir des littératures qui, sans avoir l'intention du Manuel de Forberg, sont plus malhonnêtes en­core. Pour moi qui ne ferai pas du Livret des Folatreries pas plus que Félicia un livre de ma bibliothèque, je tiens pour une oeuvre remar­quable : Le Carquois du Sieur Louvigné du Dézert, pastiche de Fernand Fleuret et pour un signe d'honnêteté, le mot merde quand il est dit à son moment.

Ce Paris-Ridicule est d'ailleurs plein d'esprit, et pour ceux qui aiment, en dépit de ses incon­vénients, le Vieux Paris, trouveront bien savou­reux cette description humoristique d'un Paris encombré dont Boileau gravement déplorait les embarras. Claude Le Petit ne se fait point man­que d'élever le ton jusqu'à l'invective, l'allusion satyrique et sa plume dut cuire comme un fer rouge sur l'épaule des juges du Roi. Les courti­sans dont Napoléon dira, plus tard : Personne ne sait mieux servir que ces gens là, y sont traités d'honorables espions, d'attrapeurs de pensions, les boursiers des Halles de fripiers rabinisés, les juges, les bourreaux, les person­nages et les monuments du temps y sont carica­turés, et ces charges souvent joyeuses quelque­fois amères ne sont pas dépourvues de bon sens ; dire que Saint Louis eut mieux fait d'attacher des hommes bien portants à sa fortune plutôt que de les amener en terre Sainte se faire crever les yeux pour une cause illusoire est une observation dont la justesse apparut à la fin des croisades à Raymond Lulle lui-même. Et qu'on aille pas croire que la critique du pays par un sujet du pays soit un sacrilège ; elle est moins injurieuse quelquefois que la louange excessive et la fâ­cheuse opinion qu'ont les patriotes de toutes les nationalités de mettre la terre conventionnelle­ment organisée où ils vivent au-dessus de toutes les autres. D'ailleurs la Chronique de Claude Le Petit n'est point si injuste que ne l'ont cru les juges du poëte, et le reste était à l'avenant. Pour la 628-E-8, à ce compte, Octave Mirbeau eût dû être guillotiné et l'on incarcererait bien des journalistes et presque tous les jours des chansonniers pour de tels délits qui n'auraient pas l'excuse de la bonne humeur.

Claude Le Petit a été tué sans pitié à 25 ans, pour avoir écrit le Bordel des Muses ! L'art et la morale ont été une fois de plus confondus, la Religion a crié au sacrilège et celui qui devait finir sous la domination de la frigide Maintenon a couvert le bourreau de son manteau d'hermine.

Nous passerions encore à un tribunal sévère qui condamnerait un écrivain pour une œuvre de méchant style, et d'intentions commerciales ; un soviet de cette intention aurait fort à faire, allégerait le rôle du critique et délivrerait le public du piège des publicités tapageuses. Mais ce souci d'art littéraire n'est passé dans la juri­diction d'aucun pays ; il émane naturellement d'un peuple de goût, et les Athéniens savaient goûter Aristophane sans l'avalisation des Ar­chontes ; nous ferons de même et ceci est une autre histoire... Mais nous ne tuons pas même les assassins, et Victor Hugo, en mal de déifi- cation a dû s'exiler lui-même.

Pour en revenir à Claude Le Petit, il eut avant son supplice le temps de confier au baron Schil­debek par manière de testament, le soin de pu­blier le livre qui lui valait la mort ; une copie — malheureusement incomplète — était cachée quelque part. Un an après le supplice du poète, le livre paraissait à Leyde et passait la frontière dans le train d'un ambassadeur. On en a sou­vent réédité des fragments, et le Paris-Ridicule si amusant par ces évocations et allusions adroi­tes ne manque pas d'intéresser ceux qui aiment cette ville où vinrent de tout temps s'esbaudir les gens qui s'ennuient dans d'autres mondes. D'ailleurs, Claude Le Petit n'était point dé­pourvu de qualités et n'était pas entièrement antipathique ; il avait la faiblesse des affamés, et l'appetit des paresseux ; son oeuvre n'est pas négligeable ; son Ecole de l'Interest et l'Univer­sité d'Amour adapté du texte espagnol de An­tolinez de Piedrabuena est fort plaisante et gaillarde :

L'heure du Berger « demy-roman comique ou roman demy-comique », aventure romancée de Claude Le Petit déjà censurée sous Louis XIV, le fut encore sous Napoléon III pour bien peu de gaillardises. Cette pudibonderie n'est pas jus­tifiée pour qui connaît les Libertins du XVIe siècle. Enfin sa poésie a quelque parenté avec la robustesse sonore et la bonne humeur du bon gros Saint-Amant, le grand lyrique plaisant de cette époque.

Paris-Ridicule a fait l'objet de nombreuses rééditions dont la dernière, avec une bonne leçon, date de 1856 et fut présentée par l'éton­nant bibliophile L. Jacob (Paul Lacroix).

Rien, nous l'avons dit, de plus complet, ni de plus scrupuleux n'a été présenté comme histoire documentaire et comme texte que l'édition de Frédéric Lachèvre (1918) à qui nous exprimons volontiers une louange méritée. Les réflexions qu'on a lues sont nées en partie, de l'impassibi­lité un peu partiale du biographe érudit, et en partie aussi, on m'en excuse, d'un amour de l'in­dépendance et d'une haine contre la cruauté qui ne restent indifférents ni pour le passé ni pour le présent.

RENÉ-LOUIS DOYON