samedi 6 septembre 2008

Rainer Maria Rilke (1875-1926)


  • Poèmes / Rainer Maria Rilke ; traduction de Lou Albert-Lasard, [portrait de R. M. Rilke par L. Albert-Lasard, préf. de Jean Cassou].- Paris (43, rue de Beaune) : Gallimard-Éditions de la Nouvelle Revue Française, MCMXXXVII [1937].- 69 p.-1f. de pl. en front. + 1 f. d'erratum ; 24 cm.
    • Il a été tiré de cet ouvrage 7 exemplaires hors commerce numérotés de 1A à 7A, 50 exemplaires numérotés de 1 à 50 sur Montval et 10 exemplaires hors commerce numérotés de 51A à 60A, 40 exemplaires sur Hawaï numérotés de 51 à 90, contenant un portrait de Rainer Maria Rilke en pointe sèche par Lou Albert-Lasard et le fac-similé d'un poème inédit, et 1.200 exemplaires sur Hollande non numérotés, constituant l'édition originale. Le texte a été composé en Garamond et achevé d'imprimer le 15 avril. MCMXXXVII. [Exemplaire sur Hollande].

[PRÉFACE]

Dans l'amitié qui unit Rainer Maria Rilke et Mme Lou Albert-Lasard il est certain que l'amour des oiseaux fut pour quelque chose. On se plaît à retrouver en effet dans le frémissement de ceux que peint Lou Albert-Lasard le souvenir de ces papegais et de ces flamants auxquels notre nouveau promeneur solitaire consacra des strophes si tendres et si brillantes. Et lui-même, le cher grand poète, tel qu'il est resté dans notre souvenir, il ressemblait à quelque oiseau étrange et immaculé.

Le langage qu'il parlait n'était pas moins difficile à entendre que celui qu'on suppose aux espèces les plus exotiques et les plus rares de la gent ailée : il confine à celui des anges, et c'est un grand mérite à Lou Albert-Lasard que d'avoir tenté de rendre en notre pauvre patois ces effusions sinueuses, ce perpétuel émerveillement verbal, tant de richesse et aussi, soudain, tant d'humble et adorable simplicité. La poésie de Rilke s'égale aux plus prodigieuses musiques du lyrisme allemand, à Goethe, Novalis et Hölderlin. C'est une des grandes voix que l'on puisse entendre, tour à tour grondante et immatérielle, déchirée et souveraine. Et dans ces deux sommets, les Sonnets à Orphée et les Elégies de Duino, elle a atteint les deux formes suprêmes de la perfection poétique : celle où s'incarne la mesure, toute serrée, intellectuelle, idéale, et celle où éclate la passion, divagante, orageuse, pareille au souffle de l'esprit sur les eaux ou dans le désert.

Rilke, mi-ange mi-oiseau, était une créature miraculeuse qui ne cessait d'interroger sur son propre secret et sur la réalité de sa propre existence tous les éléments dont il fit la rencontre : le vent, la mer, les jardins, les fruits, les villes, Tolstoi et Rodin, l'Espagne et les Alpes, les musées, les morts, les femmes. Aucun de ces éléments ne lui apporta la révélation de lui-même dont il cherchait à s'assurer : sans doute, au moment où il les sentait prêts à l'aimer, les quittait-il lui-même de peur d'en être trop aimé, ainsi que fit son Enfant Prodigue. Mais c'est tous ces éléments eux-mêmes qui se révélèrent à Rilke, avec leurs formes, leurs essences, leurs secrets à eux, et leurs beautés magnifiques, et leurs pauvres âmes bouleversantes. Et il découvrit entre eux, et surtout entre les morts et les vivants, toute une incessante circulation d'échanges. Ainsi se trouva-t-il perdu au milieu d'une présence totale, et chargé, lui qui s'était cru si chétif, de mille messages et de toute une pressante responsabilité. C'est à travers lui et par lui que se connaissaient les amants et que l'amour se savait véritable et immortel, et la mort une chose si royale. La mort et la vie se connaissaient en lui, et s'aimaient. Et l'univers n'avait plus ni commencement ni fin.

Ce fut là une des destinées de Rilke. Car les destinées d'un grand poète sont innombrables, et d'autres exégètes découvriront à celui-ci d'autres destinées, non moins sublimes que celle dont je parle ici et qui consiste à s'être fait le lieu de toutes les forces qui composent le monde. Le lieu de l'amour « che muove il sole e l'altre stelle ».

On louera Mme Lou Albert-Lasard de sa traduction et de cette voix rauque, humble, ardente avec quoi elle a rechanté les poèmes de Rilke et qui conviennent fidèlement à cet art, tout amour.

JEAN CASSOU.

Le traducteur a pris soin d'offrir des exemples de toutes les périodes de la production de Rilke afin de faire entrevoir les problèmes qui l'ont hanté, les thèmes qui se sont développés en lui, depuis sa jeunesse jusqu'à sa mort.

L'attitude du poète devant la mort comme devant toutes les réalités de la nature et de l'esprit, n'appartient qu'à lui seul, c'est pourquoi il a dû, pour ainsi dire, frayer un chemin à son chant à travers le langage de tous les jours. Rejetant toute convention, il a dû se créer une langue selon l'esprit, la douer de nouvelles puissances, la rendre transparente à une nouvelle conception, et, pour y réussir avec autant d'audace et de liberté, la pénétrer jusqu'en ses racines les plus oubliées.

Au risque de passer pour maladroit, le traducteur a cru que son devoir était de restituer en toute leur étrangeté les particularités des moyens étrangers, plutôt que d'en affadir l'esprit en le forçant dans des formes admises.

LOU ALBERT-LASARD.