mardi 5 février 2008

Emile Cabanon


  • Un roman pour les cuisinières / Emile Cabanon ; [avant-propos de José Corti].- Paris : Librairie José Corti, 1962.- IV-153 p. : couv. ill. ; 16,5 cm.- (Collection romantique ; 6).
    • Le présent ouvrage est sorti des presses des Imprimerie réunies, à Rennes, France, le 10 novembre 1962. Il a été tiré 25 ex. sur papier pur fil Lafuma Navarre.

AVANT-PROPOS

C'est Paul Eluard qui nous fit découvrir Un roman pour les cuisinières. Il tenait ce petit livre pour un chef-d'œuvre qui méritait l'hon­neur d'une réimpression. Si cette suggestion était heureuse, sa réalisation, en 1942, ne s'im­posait pas. Il aura fallu finalement à Emile Cabanon encore bien des années de patience pour faire sa rentrée en librairie.

Que sait-on de lui ? Peu de chose. On ne le connaît que comme un journaliste, « mystifica­teur à outrance », répandu dans les milieux littéraires des grandes heures du romantisme et par sa collaboration au Journal des enfants et au fameux Corsaire, cher à Baudelaire. Nous savons aussi que le succès de Un roman pour les cuisinières fut si retentissant que, qua­rante ans après sa publication, le Grand Larousse du XIXe siècle devait consacrer à ce roman, « l'un des plus curieux de l'époque », une notice d'une colonne entière dans laquelle s'exprime déjà le vœu d'une réédition. Car le roman de Cabanon était devenu introuvable.

Pourquoi, se demandera-t-on, un ouvrage qui court de la plus alerte des proses du commen­cement à la fin et dont le ton est si vif qu'il en vient à être parfois échevelé ; pourquoi ce roman aux épisodes souvent hardis, qui connut ce grand succès et qu'on souhaitait de pouvoir lire, ne fut-il jamais réimprimé ? C'est que le sou­venir du double procès des Fleurs du Mal et de Madame Bovary incitait les éditeurs à la pru­dence. On craignait que les rigueurs de la loi ne s'exerçassent à l'encontre d'un livre dont Charles Asselineau pouvait écrire, en 1872, dans sa Bibliographie romantique : «Le sujet en est à peine racontable, et certes les feuilletonistes d'à présent y regarderaient à deux fois avant que d'entamer le récit d'une aventure qui choque également la vraisemblance, la religion et la morale publique. »

Mais le même Asselineau jugeait ainsi l'œuvre : « Voilà assurément des folies bien folles et que la critique du parquet ne laisserait point passer. Et pourtant, je ne cacherai pas mon faible pour ces histoires insensées racon­tées avec l'entrain et la candide outrecuidance de la jeunesse. [ ... ] Le livre est écrit d'un ton leste et preste, et avec l'abandon d'un brave homme qui se croit à l'abri de tout péril comme de tout remords. La peinture est brillante, pim­pante et reste dans l'œil. »

Quand on aura lu l'oeuvre d'Emile Cabanon, on verra qu'en cent ans il s'est produit une notable évolution de la morale publique et que notre auteur ne s'est pas avancé bien loin dans un domaine où nombre de ses successeurs se sont aventurés à corps perdu sans émouvoir beaucoup le garde-champêtre. Mais ce mystifi­cateur se doublait d'un critique. Sous couleur de nous conter les aventures d'un dandy plus proche de Lovelace que de Don Juan, il nous donne, non une caricature, mais une charge ébouriffante du « style » romantique. Qui dit charge laisse entendre démesure. On ne sera pas surpris de la rencontrer en bien des pages. C'est le souligné de l'œuvre. Mais ce qui, dans un autre ouvrage pourrait scandaliser, ne peut ici qu'apprêter à sourire.

La raison pour laquelle Cabanon a accroché un titre aussi déroutant au récit d'une aventure galante est restée mystérieuse. On a voulu la chercher dans une sorte de défi lancé au bon sens du lecteur. Cabanon, nous le savons, avait au plus haut point le goût de la mystification si fort en vogue, à cette époque, dans le monde des artistes, — ayant décoché ce titre, il le justifie en proposant, en fin de volume, une recette culinaire. Mais cette mystification est peut-être moins gratuite qu'il ne le semble et peut-être aussi serait-il prudent d'examiner les choses d'un peu plus près ; singulièrement d'interroger celle fameuse recette des Cailles à la Cléman­tine. Qui nous est offerte où et quand personne ne l'attend. Quelle apparence que notre facé­tieux auteur, sans autre raison que de justifier son titre cocasse, ait fourni ces deux pages inso­lites, mais remarquables dans leur présentation. On découvre en effet dans cette recette que non seulement des initiales y sont libéralement semées, sans nécessité apparente, mais encore que la ponctuation, si exactement distribuée dans tout l'ouvrage, en est à peu près — à deux points près — totalement bannie.

Il pourrait se faire que ces initiales aberrantes ne fussent pas jetées au hasard, comme par jeu, pour simuler la rédaction d'une cuisinière inculte, mais bien posées pour attirer l'attention du lecteur, lui signifier que cette recette n'est pas aussi anodine qu'il peut le paraître et à l'inciter à découvrir ce qu'elle cache.

Nous invitons le lecteur, quand il aura lu, avec plaisir, nous l'espérons, Un roman pour les cuisinières, à rêver un peu sur ces deux pages et formons le vœu qu'il leur arrache leur secret — si, toutefois, elles en ont un.

J. C.