- Catalogue des tableaux de maîtres anciens et modernes des écoles flamande, française, hollandaise, etc. et des tapisseries, etc. composant le musée formé à Anvers par M. Édouard Kums,… , dont la vente aux enchères publiques aura lieu en l’hôtel Kums, marché aux Chevaux, n°58-60, à Anvers, les mardi 17 et mercredi 18 mai 1898 à deux heures et demie précises,… - Anvers : J.-E. Buschmann, 1898.- XVI-170 p.-[55] f. de pl. ; 34,5 cm.
- Il a été tiré de ce catalogue. Mille exemplaires sur papier de Hollande. Cinquante exemplaires sur papier Japon, numérotés de 1 à 50.
PRÉFACE
LA Collection Kums, dont la vente est annoncée, a fait dans les vingt-cinq dernières années l'orgueil d'Anvers ; sa dispersion laissera un vide pénible pour ceux qui regardent l'étude des merveilles de l'art comme une des grandes joies de la vie.
Elle fut formée par un de ces hommes appartenant au milieu positif de l'industrie et du commerce qui se prennent un beau jour d'un vif enthousiasme pour les créations d'un monde tout différent : celui qui reconnaît la beauté pour souveraine et cherche à traduire ses impressions plus affinées par les effets de la couleur et de la lumière.
Monsieur Édouard-Pierre-Rombaut Kums appartenait bien à cette intéressante catégorie d'amateurs. Né le 23 Janvier 1811, il avait fabriqué et vendu, bien des années, de la toile à voile avant de se soucier d'une autre espèce de toile destinée à un usage plus noble. Une révolution se fit dans ses préoccupations, quand, après s'être retiré des affaires, il se lia d'amitié avec le peintre Henri Leys.
De l'aveu de tous ceux qui ont connu ce maître hors ligne de l'école moderne anversoise, c'était non seulement un incomparable manieur du pinceau, mais encore un esprit distingué, richement pourvu de connaissances variées, d'un entretien instructif et charmant. Il éveilla dans l'âme de son ami les aptitudes et les penchants qui y sommeillaient, et lui fit contracter les goûts artistiques qui devaient l'honorer et qui l'absorbèrent de plus en plus complètement.
M. Kums ne pouvait faire son apprentissage sous un connaisseur d'un goût plus sûr et plus élevé. Il s'éprit donc du bel art de la peinture. Sa première admiration alla naturellement aux œuvres de son guide et certes jamais prédilection ne fut mieux justifiée. Il n'acquit pas d'œuvre de grande envergure de Leys, mais les cinq pièces qu'il possédait de lui se répartissent entre les différentes époques du maître et ses manières si nettement distinctes. Le plus considérable et le plus exquis de ces panneaux, les Femmes Juives à la nouvelle Synagogue de Prague, présente la particularité qu'il a été fait au retour du voyage de Leys dans le pays des Holbein et des Cranach, excursion qui eut une influence décisive sur la dernière période de sa carrière artistique. Il fut peint à un moment où l'artiste allait quitter la voie du romantisme pour aborder sa manière archaïque. Un autre, Rigolette, appartenant à sa manière antérieure, est une délicieuse figurine, brillant de la double grâce dont la parent sa propre jeunesse et l'exquis pinceau du maître au coloris éclatant et juvénile. La Marguerite, par contre, est une œuvre de la maturité du peintre, converti au style sévère de l'histoire et faisant revivre d'une vie nouvelle et intense les traditions et les personnages des anciens et purs Flamands.
Le nouvel amateur ne s'abandonna pas éperdument à sa jeune passion. Homme de réflexion et de méthode, il s'avança plutôt lentement pour marcher sûrement, cédant peu aux attraits de l'occasion accidentelle, visant haut pour échapper à la banalité et à l'encombrement.
Il fut prudent, nous dirions volontiers trop prudent, dans ses acquisitions d'œuvres des artistes du pays natal. Outre les Leys, un tableautin de Dyckmans, le travailleur précieux entre tous, trois de Madou, un portrait de Gallait, un Joseph Stevens, le robuste animalier, et surtout deux Alfred Stevens, dont l'un est cet admirable Atelier où le peintre se représente lui-même, interrogeant son modèle et lui demandant le mot de l'éternelle et captivante énigme féminine. Tous ces morceaux de choix prouvent que, si le collectionneur se contentait de glaner sur le vaste champ de l'art national moderne, il sut y recueillir des œuvres de réelle valeur.
Certes, il n'échappa pas toujours à la tentation des circonstances et, à ses débuts, il sacrifia peut-être jusqu'à un certain point au désir de posséder au moins une œuvre des artistes belges alors en renom ; mais il ne chercha jamais à compléter sa collection en ce sens, et on y chercherait vainement un artiste belge né après 1830.
Parmi les modernes c'étaient à peu près exclusivement les Français de la grande école qui l'attiraient. Il voyait en eux, et non sans raison, les classiques de notre siècle dont la haute réputation ne reposait pas sur un engouement du moment, mais sur les solides bases d'un sentiment profond et d'une facture personnelle. Sur eux se portait son choix raisonné, son enthousiasme durable. Vers 1870, il se lia d'un culte commun pour la grande école avec l'éminent amateur Jules van Praet et c'est à qui des deux se rendrait maître des œuvres les plus magistrales et les plus délicates.
Dans ses vieux jours, M. Kums revenait avec orgueil sur ses plus remarquables acquisitions de ce genre et il n'avait pas de peine à faire partager son admiration pour ces œuvres d'élite. Le Pays de la Soif de Fromentin, où la grandiose désolation de la nature encadre harmonieusement la tragédie silencieuse de la souffrance humaine, est une page épique que la postérité citera parmi les impérissables produits des maîtres d'autrefois. Le Crépuscule de Jules Dupré, où, dans des accords tour à tour doux et graves, mais toujours d'une pénétrante séduction, l'artiste ravi chante les magies vespérales de la nature ; le Site italien, de Marilhat, avec sa splendeur d'un coloris puissant et varié ; le Matin, de Corot, si vaporeux et si virginal ; *les Gorges d'Apremont*, de Diaz, si féerique ; *la Mare*, de Théodore Rousseau, de facture simple et de sentiment empoignant ; ce sont là autant de paysages exhalant la poésie de la terre sous ses divers aspects. A côté d'eux, Millet, dans sa *Porteuse d'eau*, fait revivre l'enfant de la nature ; Diaz, le fantaisiste ; Meissonnier, l'émailleur scrupuleux de la vérité, représentent la civilisation raffinée ; Decamps, Eugène Delacroix, avec sa page magistrale, *le Passage d'un gué au Maroc*, et Gérome y ajoutent les habitants de l'Orient, parés de la splendeur dont les revêtent ceux qui reviennent de ce pays des rêves. Les monumentales vaches de Troyon terminent dignement ce chapitre éclatant de notre catalogue.
Malgré sa préférence marquée pour les maîtres français, M. Kums ne dédaignait pas les produits d'autres écoles modernes ; mais toujours son choix se portait sur leurs représentants les plus illustres. Les noms d'Alma Tadema, de Boldini, de Bonington, de Brozik, de Fortuny, de Munkaczy, et de Goya, ce maître si primesautier et si moderne, quoique de par la chronologie on le range parmi les anciens, attestent combien son éclectisme était éclairé.
De bonne heure, il s'éprit des glorieux artistes de l'ancienne école hollandaise. Ils sont largement et brillamment représentés dans sa collection ; ils en formèrent le premier noyau et en restèrent un des grands attraits. Impossible d'en énumérer la longue série. Citons le portrait du jeune Rembrandt en seigneur oriental, datant de l'époque romantique où le grand maître se plaisait à se reproduire, attifé de draperies et d'atours de haute fantaisie et de coloris chatoyant ; Thomas De Keyser et Frans Hals, ses grands précurseurs ; son fascinant épigone Jean Vermeer de Delft. Burger, qui fut le premier à proclamer la valeur exceptionnelle de ce dernier maître et à faire ressortir les charmes de ce sphinx, était parvenu, non à retrouver, mais à énumérer deux ou trois douzaines des œuvres de ce peintre, rare entre tous. Parmi celles qui, en 1860, ne lui étaient connues que de nom, il cite deux Mathématiciens dont il suivit les traces à travers différentes collections vendues en 1713, 1720, 1729, 1797 et exhortait « les dénicheurs de raretés » à les rechercher. Il eut le bonheur de les dénicher lui-même et de reconstituer, dans la collection Péreire, la paire de savants. Seulement les jumeaux artistiques avaient alors changé de nom et s'appelaient, l'un le Géographe, l'autre l'Astrologue. A la vente Péreire, ils furent de nouveau séparés et l'un des deux fut recueilli dans la collection Kums.
Il s'y trouve avec nombre d'autres petits maîtres qui furent de grands peintres de la vie réelle : les Adrien Brouwer, les Jan Steen, les Adrien Van Oostade tous admirablement représentés ; le peintre du grand et du demi-monde, Gérard Terburg, qui possède ici un portrait de prince d'une délicatesse aristocratique, et une scène de la vie des lansquenets, exubérante de couleur et de bonne humeur ; le peintre des mœurs bourgeoises et galantes, Gabriel Metsu, représenté par un panneau d'une facture remarquablement solide et large ; les éminents paysagistes : Hobbema, dont nous trouvons ici une œuvre fort importante et vigoureuse de son jeune temps ; Jacques Van Ruisdael, avec un site d'une belle fraîcheur de coloris ; Van Goyen, si grandiose dans sa simplicité ; puis encore Van der Heyden, le miniaturiste, amoureux des façades ensoleillées ; Em. De Witte, se délectant à épier le jeu de la lumière dans les nefs des vieilles églises ; Guillaume Van de Velde, le peintre de la mer calme et de la voile blanche, tendue au vent et à la lumière ; les animaliers incomparables qui s'appellent Albert Cuyp, Karel Du Jardin, Nicolas Berchem, et celui qui se rencontre en dernier lieu sous ma plume, Paul Potter, dont la délicieuse Ferme avec pâturage mériterait d'être citée à la tête des joyaux artistiques que nous venons d'énumérer.
Le créateur de cette galerie était trop bon Anversois pour négliger les peintres qui font la gloire de sa ville natale. Ce fut surtout dans la seconde moitié de sa carrière de collectionneur qu'il les rechercha. Ici encore son choix se porta en premier lieu sur les plus dignes, sur les quatre grands maîtres du XVIIe siècle.
De Rubens, il acquit, outre le Paracelse, à la carnation moelleuse, la charmante grisaille du portrait du comte-duc d'Olivarez, faite en 1626 par l'illustre Anversois pour son graveur Pontius, œuvre dont le ministre espagnol tout puissant remercia l'auteur dans une lettre autographe. C'est un des deux ou trois grands encadrements de ce genre que produisit le peintre si fertile et si ingénieux dans ses créations emblématiques ; le portrait qu'il y plaça n'a pas de prétention à la ressemblance : il laissa au graveur le soin de reproduire une effigie exacte.
De Van Dyck la collection ne renferme qu'un morceau, mais c'est un des chefs-d’œuvre du grand portraitiste anversois, exécuté con amore, dans ce ton doré qui le caractérise après son retour d'Italie. Le Martin Pepyn fut peint en 1632, à la veille du second départ de Van Dyck pour Londres. Aux bords de la Tamise, sa facture soignée, son riche coloris allaient faire place aux pâles teintes de gris argenté et à une exécution trop souvent sommaire et hâtive ; ici, nous nous trouvons devant une des dernières œuvres de sa plus belle manière, saturée de chaude lumière comme un coucher de soleil radieux.
De Jordaens, le Flamand au rire, ample et retentissant et au coloris inondé de clartés ardentes et joyeuses, nous trouvons un Repos de Diane fait en collaboration avec le grand peintre de nature-morte François Snyders. De même que ses autres compositions favorites, Jordaens reproduisit plusieurs fois ce sujet. Dans la galerie del Marmol, il s'en trouvait un exemplaire plus petit ; le Musée de l'Ermitage en possède un de dimensions plus considérables. Ceci soit dit pour expliquer comment l'une des anciennes gravures, reproduisant le sujet, peut montrer les nymphes moins vêtues qu'elles ne le sont dans le présent tableau, sans que l'on soit autorisé à en conclure que, dans ce dernier, une autre main que celle de Jordaens voila les nudités des compagnes de Diane. Le maître lui-même fournit la variante.
De Teniers, le peintre aristocratique des paysanneries, nous rencontrons quatre petits sujets, tous de facture également leste et spirituelle.
Le collectionneur ne se restreignit pas dans l'école flamande aux œuvres de ce quatuor illustre ; nous n'en voulons pour preuve que le portrait d'homme rubénien et le Calvaire gothique, deux œuvres dont l'attribution peut prêter à la controverse, mais dont le grand mérite est incontestable.
Monsieur Kums mourut octogénaire, le 10 Février 1891 (1). Jusqu'à la fin de sa vie, il resta fidèle à son noble culte, assistant aux ventes, épiant les occasions, s'intéressant aux choses de l'art et d'une complaisance infatigable à faire les honneurs de ses trésors.
Sa collection était logée, à cette époque, dans l'aile droite du superbe hôtel qu'il habitait et dont il avait disjoint l'aile gauche. L'habitation ainsi réduite n'offrait pas assez d'espace pour les œuvres d'art qui s'y étaient accumulées et qui comprenaient, outre les tableaux, des porcelaines, de l'argenterie, des meubles de prix. Non seulement les vastes salons du rez-de-chaussée étaient tapissés de peintures, mais tout le long de l'escalier et dans les appartements grands et petits de l'étage, les murs en étaient couverts.
Les deux enfants du défunt amateur partageaient ses goûts. Mademoiselle Kums rédigea le catalogue descriptif de la collection paternelle ; Monsieur Armand Kums, fils, dont la mort prématurée est tant regrettée, n'eut rien de plus empressé, en 1891, que de fournir une digne installation aux œuvres d'art réunies par son père.
Les deux parties de l'hôtel primitif furent réunies en un vaste et somptueux ensemble ; les tableaux furent exposés dans les quatre grands salons du rez-de-chaussée. Avec l'ameublement authentique du XVIIIe siècle, avec les tapisseries bruxelloises de la même époque et de grande
allure, ils formèrent un de ces intérieurs de palais de grand seigneur, ami des arts, comme nos contrées jadis en connurent beaucoup, mais qui tendent malheureusement de plus en plus à disparaître. De 1891 à 1897, le « Musée Kums » fut ouvert au public et visité par tous les touristes, étudié par tous les curieux de l'art. Il s'est fermé et ne se rouvrira que pour la lutte qui va s'engager autour des joyaux artistiques qu'il aura abrités pendant un trop court espace de temps.
MAX ROOSES.
(1) Parmi ses nombreux titres, nous citons ceux de membre de la Chambre de commerce, membre de la Commission des prisons, membre honoraire de la Société des Beaux-Arts, Consul honoraire de la Fédération Argentine, Consul de S. A. Monseigneur le duc Ernest II de Saxe-Cobourg-Gotha, président de l'Administration des Polders de Santvliet, officier de l'Ordre de la branche Ernestine de Saxe, chevalier de l'Ordre de Léopold.