dimanche 3 avril 2011

Jean Joseph Raepsaet (1750-1832)


  • Les Droits du seigneur : recherches sur l'origine et la nature des droits connus anciennement sous les noms de droits des premières nuits, de markette, d'afforage, marcheta, maritagium et bumede / J. J. Raepsaet.- Rouen (1, rue des Carmes) : J. Lemonnyer libraire, 1877.- 57 p. ; 14,5 cm.
    • Réimpression textuelle [de l'édition de Gand, 1817] tirée à 2 exemplaires sur papier rose, format in-8 ; 100 exemplaires sur grand papier, format in-8, numérotés ; 250 exemplaires sur papier vélin, format in-16.


AVANT-PROPOS

Si ces droits ou redevances avaient existé dans le sens ou de la manière que des écrivains peu instruits ou peu sincères l'ont rapporté, il y aurait eu un temps & même une série de siècles, où la fornication était un droit & la prostitution un devoir ; où la foi conjugale devait être violée aussitôt que promise, & où le lit nuptial devait être flétri avant de recevoir de légitimes époux ; car il ne s'agit de rien moins, au dire de ces écrivains, que de, croire, qu'à ces époques moins éloignées qu'ils ne s'en doutent, le maître avait droit de passer la première nuit avec la nouvelle épouse de son serf & le seigneur avec celle de son vassal ou de son homme ; c'est-à-dire de son censitaire. Encore, s'ils rapportaient ces droits & ces usages à des peuples païens, ou si, en les attribuant aux Français, aux Belges & aux Allemands, ils en reculaient l'existence à ces époques, où la morale de l'Évangile leur était encore inconnue ; mais les attribuer à des peuples catholiques, & à des époques où ils étaient déjà pleinement policés, & surtout en partie à ces temps où l'esprit de la chevalerie avait élevé les femmes en idoles, & où l'honneur avait rangé la foi mentie dans la classe des crimes les plus affreux, ah ! c'est le comble de la crédulité ou de la méchanceté que d'oser soutenir des fables aussi absurdes !

Il faut en convenir, cependant, le premier qui les a débitées peut l'avoir fait de bonne foi & par ignorance, car l'histoire du régime féodal, contre lequel on s'est tant récrié depuis un siècle, est très peu connue, puisqu'elle tient à l'étude de l'histoire du moyen-âge, laquelle, toute importante qu'elle est, est encore trop négligée. Les historiens, a dit M. Laurent van de Spiegel, dernier grand-conseiller, pensionnaire des états de Hollande & de West-Frise, un des antiquaires les plus instruits du dernier siècle, & qui m'honorait de son amitié, les historiens, a-t-il dit, qui ont voulu nous apprendre l'origine & le progrès de nos droits civils & politiques, remontent jusqu'à la naissance de nos coutumes ou chartes de villes, au treizième siècle, & passent de suite à la période romaine & gauloise, pour trouver des analogies dans César & Tacite ; laissant ainsi, dans l'intervalle, une période de onze siècles, pendant laquelle le savant Wagenaar avoue qu'il ignore comment la Belgique a été administrée & gouvernée. Faut-il donc s'étonner, qu'à la renaissance, des lettres, au quinzième siècle, nos écrivains n'aient pas compris la signification des mots que leur offraient les chartes du moyen-âge, qui avaient survécu aux siècles d'ignorance & aux ravages des barbares comme à ceux du temps ? Nous en avons une preuve dans le sujet qui nous occupe, puisqu'une foule d'écrivains ont confondu le Marcheta ou le Maritagium avec le Jus primae noctis ou le Droit des premières nuits, tandis qu'ils n'ont rien de commun entr'eux. Le premier consiste en une bonne maxime d'état, l'autre en un conseil évangélique ; la démonstration de cette vérité forme le sujet de la présente dissertation.