lundi 17 mars 2008

Henri Pétrez (1886-1967)


  • Fôves du Baron d'Fleuru : 2ème recueil / Henri Pétrez ; illustrations en couleurs d'Elisabeth Ivanovsky, [préface de Jules Sottiaux].- Couillet (42, rue de Villiers) : Maison d'éditions, [1938].- IV-126 p. -[13] f. de pl. en coul. : couv. ill. en coul. ; 22,5 cm.

Préface

En ouvrant, voici dix ans, le premier volume de fôves par le Baron de Fleuru, nous nous demandions quel était ce singulier baron qui fait parler les bêtes.

Henri Pétrez ne possède ni quartiers, ni baronnie. Sa noblesse est tout entière dans son oeuvre. C'est sa couronne. Comme Napoléon, il l'a posée lui-même sur sa tête. J'ai su, depuis, que ce titre nobiliaire avait été décerné à son grand-père par le voisinage et qu'il est passé à la famille par droit d'héritage. Au fait, puisque la littérature française de Wallonie possède son prince en Maurice des Ombiaux, pourquoi notre littérature dialectale n'aurait-elle pas le sien, accompagné de ses barons.

Et voici ce second volume de Fôves. L'auteur, en bon ouvrier du vers, a mis le temps pour les fignoler, pour en extirper les scories. Sa langue coule, claire, abondante et riche ; elle sort de la bonne source wallonne. Fleurus, ville du pays noir, se trouve à croupetons sur le Brabant et le Namurois. Le parler fleurusien s'est enrichi de leurs apports. Mais il doit tant au second que leurs formes d'expression se ressemblent.

Notre auteur ne s'apparente à aucun des deux fabulistes carolorégiens dont le nom a résisté au temps. Horace Piérard est plus réaliste dans ses imitations de La Fontaine ; ses tableaux sont peints d'un trait, sa pâte est lourde de couleur, et quelle couleur ! Sa verve et son humour rivalisent dans une action rapide et musclée. Henri Pétrez ressemble davantage à Bernus ; comme lui, il est abondant, son langage ne brave jamais l'honnêteté, et son ironie ne donne que de légères piqùres. Mais il n'imite ni le Bonhomme, ni Florian, et il boit dans son verre. Souvent, notre fabuliste coudoie la poésie, et ensemble, rêvant de tournures pittoresques et d'images nouvelles, ils vont par les chemins où l'imagination tient ses assises. De là vient que, parfois, ses apologues s'allongent et tournent au conte.

La bonne morale est de tous les temps. On retrouve ses principes éternels dans Esope, comme chez les moralistes de notre âge. Cependant, chaque époque apporte avec elle ses qualités et ses vices. De là naissent des nuances. Henri Pétrez ne l'ignore pas. On en trouvera la preuve dans certaines de ses fables : Li tchfô èt lès quarante tchivôs, ou encore dans les deûs mwins, etc.

Ces caractères généraux posés, nous voudrions détacher les passages de l'ouvrage qui montrent avec quel talent l'auteur sait peindre et « croquer » tel personnage. Mais les tableaux vivants abondent , forcément nous en oublierons et laisserons aux lecteurs le soin de les découvrir et des les admirer.

Voyez, dans Li paralmwin, avec quelle précision de détails il prépare l'action. Et d'abord, le gamin lie la toupie ; observez-le :

I l'astoke come i faut dins s'mwin, Stitche li neû di s'cwade intrè sès deûs dwèts, etc...

Et voici la « toûrpène » en mouvement :

Ele toûne, ûlant come in bourdon Fait spitér l'têre, sautèle, rzoupèle. Ridondèle ; Alôrss', p'tit-à-p'tit Ralentit.

Tout cela est vu, précis et vivant ; le fabuliste accorde le rythme des vers avec le mouvement. Il va plus loin : il choisit des consonances claires ou fermées pour préciser le bruit décroissant de l'objet. Ce travail de la forme s'appelle ni plus ni moins, faire œuvre d'art.

Dans Lès deûs Pénsons dont la morale conseille aux jeunes d'écouter l'avis des vieux, il précise davantage encore. Il sait que, dans la fable, tout doit confribuer à la vraisemblance.

Li cén qui tind droci, on l'apèle li cacheû ; C'èst l'premî di tous lès tindeûs.

Tout le monde, à Fleurus et dans les environs, connaît le Cacheû, que diable. C'est Gustave Kaisin et pas un autre. On songe ici aux vers suivants du notaire Piérard qui, lui aussi, connaissait les mérites de la vraisemblance :

Bondjou, monsieur Lion Convint va-t-i hon, Dis-sti l'leu d'ène n'vwès d'basse, Come èI vicaire des Haïes quand i tchante èl préface...

Le portrait de Li Poûrchinèle et celui des Deûs tchèts ne sont pas enlevés par un appareil photographique de pacotille ; ils sont ressemblants. Pétrez est un observateur minutieux ; s'il connaît l'importance de l'agrément et du choix des détails dans la fable, il n'apprécie pas moins cette qualité indispensable qu'est le naturel.

Voici, dans L'alouwète et l'fouyant des vers de vrai poète :

Ele monte, come assatchîye, pô grand oûy' roudje, Ele monte come s'èle vouléve si brûler lès pènas. Ci n'èst pus qu'in pwint nwâr, on n'wèt minme pus qu'èle boudje ; Ele monte, èle è va, Ele monte, on né l'wèt pus, èle èst mouchîye Dins l'solia, èt rostîye.

Des gouttes de vraie poésie perlent dans cette fable qui, de plus, ne manque ni de beauté dans l'idée, ni de souffle.

Dans Li Krèkyon, il rend avec autant de bonheur la rapidité de l'insecte qui échappe à la poursuite. On rencontre aussi dans cette fable et dans d'autres, des comparaisons populaires inattendues ; et c'est comme un sourire de soleil en temps de pluie :

Bén vos-è fioz yène di tièsse, Vos rwétî d'crèsse Come in tchén qui r'vént dèl fièsse.

Cette fable et la précédente sont dignes de figurer dans les anthologies.

Verlaine, qui voulait dans les vers « de la musique avant toute chose », eût aimé le début de la fable Li tchèt et les boules di savon. Les rimes en èle unies aux rimes en in, y produisent un carillon fort agréable.

Voyez encore le début du conte — car c'est un conte — : Dèl nive dissus dès broûs. C'est la peinture d'une chute de neige :

Qui diskind du cièl toute blanke, bén douc'mint Corne si pa lô-vô Dès saints displuménent toutes lès blankès poûyes ; Et lès p'tits ârsoûyes En' n'ont pô d'leûs oûy's Pou wétî l'tâbleau.

C'est de la musique toujours, musique en sourdine comme la neige qui tombe.

Vous rencontrerez, dans ce conte, quelques lignes plus bas, une vraie trouvaille. C'est un vers en blanc comme le paysage d'hiver qu'il évoque. Il vaut à lui seul un tableau de prix. Certes, son réalisme pourrait rebuter certaines personnes pudibondes qui ne s'effarouchent nullement d'un décolleté à l'américaine au bal de la marquise ; mais l'auteur nous le donne si naïvement, dans un décor d'enfant dont l'âme est blanche, elle aussi, que les lecteurs l'admireront avec nous :

Li lèdmwin matin, quand lès p'titès tièsses Wét'nu pa l'fènyèsse, Gn'a tout qu'èst fén blanc Vos cwêrî l'viladje a panya volant !

Il faudrait citer aussi dans Li Rossignol èt l'baudèt, des vers d'une réelle fraîcheur ; mais je ne peux passer, dans Li tchèt et l'rat, ce petit vers qui, en quatre mots, rend presque tangible le silence malicieux du chat aux aguets :

Et douc'mint, bén douc'mint, i n'drouve qu'ène oûy' Peu d'fé du brùt.

Et pour accentuer cette scène silencieuse par une drôlerie, l'auteur ajoute :

Su l'dos d'in tchèt pèlé, On ètindréve in pû saut'lér.

Plusieurs auteurs wallons ont fait intervenir le « pû » comme personnage burlesque. Le curé Letellier, dans son fameux Mariage dé l'fiye Chose, a réjoui toute la Wallonie par cette boutade pouilleuse : T'as là in habit su t'dos, il est mi rasé qu'in pou ferré à glace n'sarroi nié montér d'sus...

Le bon curé de Bernissart connaissait le langage des autochtones du Cras-Monciau, les Marolles de Mons, une variété de la Cour des Miracles. Il pousse à fond, dans son « Mariaqe », l'étude de mœurs de ces commères loquaces. La satire chez Pétrez, est plus policée : son « viladge a panya volant » ferait sourire Zola de pitié.

Nous rappelons à dessein les vieux maîtres, au risque de faire sourire certaines recrues. Les Defrêcheux, les Remouchamp, Letellier, Renard, Vermeire, Bertrand, sont nos Racines et nos Molières, je veux dire nos classiques. Ils ont bu à pleines gorgées dans la bonne source wallonne, que les inventions modernes et les néologismes ont troublée. Les écrivains en dialecte ne sauraient trop s'en souvenir.

Pour finir, nous attirerons l'attention sur ce délicieux conte : A l'mode du p'tit chaperon roudje. Ici, c'est au grand-père que les questions sont posées. Le petit chaperon, qui devient chez notre fabuliste : « mi p'tit brotchont, mi p'tite ârsouye, mi p'tite pouyète », demande pourquoi il est devenu si laid avec son visage tout « ratatiné come ène figote » ; et pourquoi ses yeux restés beaux, et dans lesquels elle se mire, se voilent tout-à-coup. Admirez la réponse ; elle est de la meilleure inspiration : celle du sentiment.

C'èst-a cause d'ène miyète Di vapeûr Qui vént tout dwèt dèl buzète di m'cœûr, Mi p'tite pouyète.

Je ne connais rien de plus réussi dans notre littérature dialectale et dans ce genre, que cette page qui fait le pendant de cette autre : Dèl nîve dissus dès broûs.

Mais il faut se borner. J'en ai dit assez pour faire aimer et apprécier ce nouveau volume de Henri Pétrez.

Poète, il souffle sur son pipeau rustique, de joyeuses rimes pleines d'âme et de vie. Fabuliste, il reprend les grands principes de la sagesse qu'on ne saurait trop redire aux pauvres humains que les bibles et les philosophes ne parviennent pas à dessiller. Son oeuvre, qui est d'un sage, accuse un talent mûri par le travail ; un talent enrichi du don de sympathie.

Le circuit qui a pour limite Charleroi, Gembloux, Jodoigne, Fleurus, est aimé des muses wallonnes. C'est là qu'ont poussé — je ne cite que les oeuvres récentes —, les Fleûrs d'al Vièspréye, de Paul Alloureau, qui s'apparentent, par la profondeur aux fables de Henri Pétrez, ces fleurs de sagesse. Et c'est là aussi que s'affirme la jeune maîtrise d'Émile Lempereur et de Willy Bal. Si nous poursuivions ce circuit jusqu'à Namur, que d'admirables oeuvres nous pourrions citer. Mais notre préface n'est pas un palmarès. Que de beaux noms de mon pays de Charleroi s'imposent à notre souvenir.

Devant cette foi et ce renouveau, certains frères wallons, attristés et découragés par l'afflux des vocables étrangers dans l'expression courante, répéteront avec :

Mots de chez nous, robustes fleurs, Carillon qui rythmait nos rondes, Mots oubliés, mots de nos cœurs, Vous êtes les plus beaux du monde

Ou encore :

Dans le jardin des mots, il meurt, au fil des jours, Bien des roses, bien des verveines ;
Mais tu vivras, mais tu reverdiras toujours
Avec nos vergers et nos chênes,
Vocables-fleurs, voix de nos voix, sang de nos veines !


Jules SOTTIAUX



Versification et orthographe d'après ler Traités de M. Jules Feller.

ORTHOGRAPHE WALLONNE

Le lecteur trouvera ci-dessous un tableau résumant les principales règles d'orthographe suivies par l'auteur. Elles sont simples et faciliteront grandement la lecture des œuvres qui vont suivre.

a a bref (latia, canada).
à a long (âdje, sâdje).
é é fermé (, , tchér).
è e bref ouvert (rwè, pète).
é ê long ouvert (glwêre, istwêre).
i i bref (lit, crédit).
î i long (î, pîd, ).
o o ouvert bref (pot, sot, lot).
u u bref (nu, pu, v'lu).
û u long (lût, cûste, tout-tchûte).
ou ou bref (oute, rascoute).
où ou long (boise, poisse).
én é fermé nasal (bén, tchén, rén).
y est considéré comme une semi-voyelle et n'a jamais la valeur de deux i (loyi, lisez lo-yî, Mayane, saya).
w est considéré comme une semi-consonne. La graphie oi est supprimée (awè, lwè, twèsér, bwache).
La consonne double n'est maintenue que là où elle se prononce (djon-ne, personne) ; elle est supprimée dans les autres cas (bone, doner, soner).
Le t sifflant du français patient, patience, patienter et des mots en -tion, -tiel est remplacé par s, c, ss (atinsion, pôrsion, émôcion).
x final est remplacé par s au pluriel comme au singulier (deûs, mieus).
ph est remplacé par f (Filomène, fisolomîye).
La voyelle e ne se prononce pas.