- Contes bruns / H. de Balzac ; préface et notes de Marcel Bouteron.- Paris (51, rue de Babylone) : André Delpeuch, 1927.- 164 p.- 1 f. de pl. : ill. ; 17,5 cm.- (Pages retrouvées).
- Il a été tiré à part 100 exemplaires sur Vergé d'Arches numérotés de 1 à 100 ayant en frontispice la reproduction de la couverture de l'édition originale des CONTES BRUNS. [Exemplaire à toutes marges (17 x 26 cm.) n°] 63.
PRÉFACE
En février 1832, deux éditeurs parisiens, Urbain Canel (rue du Bac, n° 104) et Adolphe Guyot (place du Louvre, n° 18) mirent en vente un volume in-octavo intitulé :
CONTES BRUNS
PAR UNE
PAR UNE
Et au-dessous de ce titre, en guise de nom d'auteur, se voyait une vignette haute de huit centimètres et large de sept, représentant... une tête à l'envers. Cela devait se lire : Contes Bruns, par une tête à l'envers.
Cette vignette dessinée par Tony Johannot et gravée par Thompson, figurait une tête renversée, sans cou, aux longs cheveux hérissés, aux sourcils en bataille. Sa face, au menton carré, longue, osseuse, ridée, plantée en son milieu d'un fort nez de satyre, se détachait sur un fond noir et présentait au lecteur deux yeux ronds aux prunelles louches. Et sous le nez, solidement charpenté, deux lèvres sinueuses relevées en demi-cercle découvraient par leur sourire satanique six fortes dents larges et blanches.
Cette tête à l'envers abritait sous son crâne bossué aux cheveux hirsutes, les espérances de trois jeunes auteurs : Honoré de Balzac. Philarète Chasles, Charles Rabou.
Imprimés par Everat, imprimeur, rue du Cadran, n° 16, les Contes bruns formaient un volume de 398 pages d'une claire typographie, ainsi composé :
Une conversation entre onze heures et minuit.... [pages :] 3- 96
L'œil sans paupière................................................................... 97-136
Sara la danseuse....................................................... ............... 137-158
Une bonne fortune................................................................... 150-204
Tobias Guarnerius................................................................... 205-244
La fosse de l'avare................................................................... 245-264
Les trois sœurs........................................................................ 265-286
Les regrets............................................................................... 287-346
Le ministère public................................................................. 347-322
Le grand d'Espagne................................................................ 373- 398
Dans cet ensemble, la part de Balzac était de 122 pages : Une conversation entre onze heures et minuit (96 pages), Le Grand g d'Espagne (26 pages).
Depuis lors, ces cent vingt-deux pages balzaciennes connurent plus d'un avatar et furent pillées par Balzac, lui-même, sans vergogne, à plusieurs reprises, au profit d'autres ouvrages, de 1832 à 1844.
Il les utilisa, soit en entier, soit par fragments ; il les découpa, les réajusta, les replaça en maintes occasions que, nous allons énumérer.
Le Grand d'Espagne, récit indivisible, fut toujours utilisé par Balzac en son entier, mais il n'en fut pas de même pour la Conversation qui, formée de 12 récits distincts, se prêtait admirablement au morcellement. Ces 12 récits ne portaient originairement aucun titre individuel ; deux en reçurent un dans la suite, de Balzac lui-même ; nous avons donné aux autres, entre-crochets, un titre factice pour la commodité de notre exposé.
................................................................ Pages des Contes ..... Pages de la
................................................................ Bruns (1832) ............ présente édition
[Histoire du capitaine Bianchi] ............... 9-15........................ 25-34
Histoire du chevalier de Beauvoir...........17-28....................... 35-48
[L'avortement].......................................... 30-39..................... 49-57
La maîtresse de notre colonel................. 39-52...................... 58-73
[Ecce homo].............................................. 54-57....................... 74-78
[Le tic du mort]........................................ 59-61....................... 79-81
[Le père du réfractaire].......................... 62-66....................... 82-87
[Le gilet rouge]......................................... 67-7o........................ 88-91
[Le président Vigneron].......................... 71-72....................... 92-94
[La femme du médecin].......................... 72-74....................... 95-98
[Le bol de punch]..................................... 74-8o....................... 99-1o5
[Le général Rusca]................................... 81-95...................... 1o6-121
C'est à l'année 1834 que remonte le premier emprunt de Balzac à ses récits des Contes bruns. En mars, il y prélève pour le publier, après lui avoir donné un titre : La maîtresse de notre colonel, qui paraît dans le n°10 du Napoléon.
En février 1837, Balzac publie le 3e volume des Scènes de la vie de province (Etudes de mœurs, tome VII). Il a besoin de copie pour corser la première nouvelle du volume : La Grande Bretèche ou les trois vengeances. Il puise de nouveau dans le réservoir des Contes bruns et insère à la suite de la Grande Bretèche, mais sans titres individuels (p. 21-31) l'Histoire du Chevalier de Beauvoir et (p. 35-51) le Grand d'Espagne.
En 1839, réédition chez Charpentier de cette même Grande Bretèche, avec même complément des deux mêmes Contes bruns.
En 1842, récidive pour la Maîtresse de notre Colonel qui, titre supprimé, va étoffer Autre étude de femme, dans le tome II de la Comédie humaine.
En 1843, l'Histoire du Chevalier de Beauvoir et le Grand d'Espagne (toujours accolés à la Grande Bretèche) viennent encore prêter main-forte à l'auteur, en peine de copie. Balzac les enclave dans Dinah Piédefer, première version de la Muse du département, publiée en feuilleton par le Messager des 3o mars et 1er avril. Très scrupuleux, le directeur du Messager indique ces enclaves : « M. de Balzac a cru devoir nous prévenir que l'Histoire du chevalier de Beauvoir et la suivante (Un grand d'Espagne) avaient été publiées déjà dans les Contes Bruns et il voulait les rappeler par une courte analyse ; mais le peu de longueur de ces deux citations nous a engagés à les laisser subsister en entier. »
Mais Balzac, ou le directeur, se gardent bien de faire aucune allusion à l'édition de ces deux histoires, en 1837, dans les Scènes de la Vie de province, t. III, et à leur réédition en 1839 !
L'Histoire du Chevalier de Beauvoir et le Grand d'Espagne (après suppression des titres individuels) suivent le sort de Dinah Piédefer devenue définitivement la Muse du département, et abandonnant leur ancienne compagne la Grande Bretèche, entrent chez les éditeurs Furne, Dubochet et Cie, Hetzel, pour paraître le 13 mai 1843 dans la 51e livraison de la Comédie humaine (tome VI). Ils suivent également la Muse, lorsqu'elle parait chez l'éditeur Souverain le 4 novembre 1843, dans la collection : Les Mystères de province, mais s'adjoignent de nouveau, pour la circonstance, le récit de la Grande Bretèche.
Enfin, en 1844, dernier emprunt de Balzac aux Contes bruns pour compléter le 3e et dernier volume de Splendeurs et misères des Courtisanes, mis en vente par l'éditeur de Potter, le 23 novembre. Soixante-dix-sept pages in-8° manquaient à Balzac pour terminer ce 3e volume, il les prend sans sourciller dans Une Conversation entre onze heures et minuit qui lui en offrait soixante-dix-neuf . Il y a deux pages de trop ; pour avoir le compte juste, Balzac laissa de côté les deux pages d'un petit récit [la Femme du Médecin] et intitula son emprunt : Échantillon de causerie française.
Ainsi finit l'histoire des Contes bruns parus pour la première fois, ensemble, en 1832, mais, aussitôt après, disloqués par leur auteur, et republiés, morceau par morceau, de 1832 à 1844, histoire compliquée dont le tableau ci-dessous permettra au lecteur d'avoir sous les yeux l'exact et bref résumé :
Si les éditions courantes de Balzac offrent aux lecteurs une lecture commode de l'Histoire du Chevalier de Beauvoir, du Grand d'Espagne et de la Maîtresse de notre Colonel, reproduits respectivement dans la Muse du Département et dans Autre étude de femme, il n'en est pas ainsi des autres fragments composant les Contes bruns, notamment de l'Histoire du Capitaine Bianchi, des petits récits qui composent avec elle l'ensemble d'Une Conversation entre onze heures et minuit. Ces fragments ne se trouvent, en effet, que dans le tome III de Splendeurs et misères des Courtisanes, édition de 1844, ancienne et rare, ou au tome XX des Œuvres complètes (édition Calmann-Lévy, in-8°), dont la grosseur rend le maniement peu commode. Encore n'y trouverait-on pas le petit récit consacré à « la femme du médecin » qui, depuis 1832, avait seul échappé à la mise en coupe réglée des Contes bruns. Balzac avait bien annoncé, dans son roman des Marana, l'intention de republier Une Conversation en tête d'une nouvelle édition des Scènes de la Vie parisienne, il désira, plus tard, la faire repasser en tête d'une nouvelle édition des Scènes de la Vie politique, mais la mort l'empêcha d'exécuter ses projets.
Le directeur des Pages retrouvées, M. Henry Frichet, a donc fort bien agi, en donnant à ses lecteurs la possibilité de lire en un petit livre maniable et accessible, dans l'ordre même de l'édition originale, mais en utilisant, sauf indication contraire, la dernière version adoptée par leur auteur, ces récits dispersés dès leur naissance et réunis ici, pour la première fois depuis bientôt un siècle, après de multiples tribulations. Et le balzacien, curieux des principales variantes du texte, lira sans doute avec plaisir les notes finales de notre volume.