- Correspondance de Madame de Gourdan dite La Comtesse / introduction et notes par Jean Hervez.- Édition réservée au souscripteurs.- Paris (4, rue de Furstenberg) : Bibliothèque des Curieux, [1910].- 180 p. ; 15 cm.- (Le coffret du bibliophile, pamphlets et tableaux des moeurs intimes).
- Il a été tiré de cet ouvrage strictement réservé aux souscripteurs : 5 exemplaires sur Japon Impérial (1 à 5), 500 exemplaires sur papier d'Arches (6 à 505). [Exemplaire] n°359.
INTRODUCTION
LA Gourdan, dite la «Petite Comtesse », est une des plus célèbres appareilleuses, matrones de maisons closes du dix-huitième siècle. Veuve d'un capitaine général des Fermes, elle installa confortablement son sérail rue Sainte-Anne en 1759 et devint aussitôt la pourvoyeuse habituelle du comte du Barry, qui lui-même racolait pour le compte de nombreux seigneurs. Quatre ans plus tard, elle se transportait rue Comtesse-d'Artois, où elle resta jusqu'en 1774. A cette époque, elle vint s'établir rue des Deux-Portes-Saint-Sauveur, où deux ans plus tard elle fut décrétée de prise de corps pour avoir recueilli chez elle Mme d'Oppy, femme d'un gentilhomme de province, et avoir favorisé son goût pour le libertinage (1).
Mise hors de cause, grâce à ses hautes influences, la Gourdan rouvrit sa maison.
Elle possédait aussi, au village de Villiers-le-Bel, une habitation isolée servant à plusieurs fins : d'abord pour la cure de ses pensionnaires malades, et aussi pour des intrigues galantes qui exigeaient le plus grand secret (2).
Le 3 décembre 1783, la chronique parisienne annonce en ces termes la disparition de la célèbre proxénète :
« La fameuse Gourdan, appelée la Petite Comtesse à la Cour, où tout se peint en beau, a péri il y quelques jours d'une mort subite et violente. Les rapports qu'avait cette appareilleuse avec ce qu'il y a de plus grand la mettaient dans le cas de se faire beaucoup d'amis et d'ennemis : il y a une émulation parmi les femmes de son espèce pour succéder à la dignité de surintendante des plaisirs de la Cour et de la ville, quelque périlleuse qu'elle soit (3). »
C'est du vivant même de la « Petite Comtesse » que parut la première édition de la Correspondance de Mme Gourdan, qui se présentait alors sous le titre de Portefeuille de Mme Gourdan.
Comme ce recueil factice compromettait à plaisir nombre de personnages, dont les noms sans doute transparaissaient sous de simples initiales ; comme il mettait en scène, peu brillamment, artistes et grandes dames, nobles seigneurs et hauts dignitaires ecclésiastiques, tous clients à leur heure de la célèbre appareilleuse, il fut accueilli avec indignation et, naturellement, poursuivi par la police. Deux notes de Bachaumont, publiées à quelque trois mois d'intervalle, consignent le scandale causé par cette publication.
« On parle d'une nouvelle rapsodie intitulée : Le Portefeuille de Mme Gourdan ; on dit que c'est une brochure dans le goût de la Cassette Verte, aussi remplie d'anecdotes fausses et absurdes et écrites d'un style aussi plat, mais le nom de l'héroïne lui donne de la vogue (4). »
« La Correspondance de Mme Gourdan a excité une tempête considérable contre les colporteurs. On assure que trente-trois ont été mis à l'amende pour s'être trouvés possesseurs d'exemplaires de cette méchante brochure : on leur a fait payer cent cinquante livres. Le libraire Prud'homme, comme le plus coupable pour l'avoir fait imprimer, a été mis à l'Hôtel de la Force, où il est depuis plus d'un mois au secret ; cependant sa captivité s'adoucit et l'on commence à le voir ; mais il parait qu'il ne sortira qu'après avoir soldé une amende de cinq cents livres. Cette brochure s'était imprimée chez un particulier qui avait une imprimerie clandestine, et qui, averti à temps, a heureusement pris la fuite (5). »
D'auteur il n'est point question. Et pourtant, certains ont pu penser que le trop fameux Théveneau de Morande, le chroniqueur mordant du Gazetier cuirassé, n'était pas étranger à la confection de ce libelle. Paul Robiquet, qui a écrit sur Théveneau de Morande une étude fort bien documentée (Paris, Quantin, 1882, in-8), est de cet avis. M. Octave Uzanne est d'un avis contraire. Aucun document probant ne peut encore départager les deux opinions.
Que Morande ait pu avoir l'idée d'un pareil livre, voire même l'écrire, rien n'est plus plausible. Sa plume, coutumière de médisances et de calomnies, ne dédaignait pas les histoires gaillardes, les racontars grivois. Quant à sa délicatesse, elle a été jugée sévèrement par une femme inconnue (cette femme n'était peut-être autre que le chevalier Andréa de Nerciat) qui conte avec beaucoup d'agrément ses libertines aventures sous le titre de Julie philosophe. Elle le connut à Londres, où il avait été forcé, par de multiples méfaits, de se réfugier.
« Cet homme, dit-elle, a un talent particulier pour sonder les cœurs ; ses regards perçants pénètrent tous les replis de votre âme ; il voit tout d'un coup le parti qu'il peut tirer de vous, et comme son intérêt est son unique règle, que l'honneur n'est à ses yeux qu'une chimère, vous êtes assuré d'être sa dupe du moment où il en a formé le projet, car il a autant d'adresse pour en imposer et mettre à exécution ses perfides desseins qu'il est peu délicat, sur les moyens à employer ; au reste, cet homme vil est trop connu, les traits de sa vie, marqués tous au coin de l'infamie, sont trop publics pour que j'entre dans des détails à ce sujet ; ce ne fut que par la suite et à mes dépens que j'appris à l'apprécier à sa juste valeur. »
Après avoir avoué, tout simplement d'ailleurs, qu'elle accorda à Morande toutes les faveurs qu'une femme galante, à son dire, ne peut guère refuser, elle s'en excuse :
« Ma seule justification, sans doute, c'est que je ne connaissais pas encore ce rebut de l'humanité, ce méprisable écrivain dont la plume vénale distille sans pudeur le fiel et la calomnie, et dont la noire méchanceté, lance les traits les plus odieux contre quiconque a le malheur d'allumer sa bile et d'exciter son animosité (6). »
Théveneau de Morande et la Gourdan étaient faits pour s'entendre. Rien ne nous empêche de penser qu'ils se rencontrèrent et s'entendirent fort bien ; mais rien non plus, hélas, ne prouve qu'ils agirent de concert.
Il est longuement question de Mme Gourdan au cours de plusieurs lettres de l'Espion anglais, dans Les Sérails de Paris et encore dans les rapports de l'inspecteur de police Marais. Le lecteur curieux de détails vécus — très souvent pittoresques — se reportera avec fruit à ces documents (7).
J.H.
_____NOTES :
(1) L'Espion anglais, 1809, t. I 202. — Correspondance secrète, 16 sept., 7 oct. 1775.
(2) Voir La Secte des Anandrynes (Coffret du Bibliophile, 1910).
(3) Mémoires secrets, 3 décembre 1783 (t. IX).
(4) Mémoires secrets, 8 juillet 1783.
(5) Mémoires secrets, 19 octobre 1783.
(6) Julie philosophe. Réimpression (Coffret du Bibliophile, 1910, 2 volumes), t. II, ch. I.
(7) Voir aussi Maisons d'amour et Filles de joie : Chroniques du XVIIIe siècle, tome VI (Bibliothèque des Curieux, 1910).
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NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
LE PORTE-FEUILLE DE Mme GOURDAN, DITE « LA COMTESSE ». Pour servir à l'Histoire des mœurs du XVIIIe siècle, et principalement de celles de Paris. Seule édition exacte. — O Tempora ! O Mores ! — A Spa. Du 15 juillet MDCCLXXXIII. Petit in-8 de 96 pages, dont IV pour titre et préface. (Bibl. nation., Li3 55 Rés.)
CORRESPONDANCE DE Mme GOURDAN, DITE « LA COMTESSE », AVEC UN RECUEIL, DE CHANSONS A L'USAGE DES SOUPEURS DE CHEZ Mme GOURDAN. — A Londres, Jean Nourse, 1784, petit in-8 de 208 pages, frontispice. Cette édition renferme 162 lettres.
CORRESPONDANCE DE Mme GOURDAN, DITE « LA COMTESSE », augmentée de dix lettres inédites, dont deux fac-similés, suivie de la description de sa maison et de diverses curiosités qui s'y trouvent, avec un Recueil de chansons à l'usage de ses soupers. — O Tempora ! O Mores ! — Londres, chez le fameux Jean Nourse (Bruxelles, Poulet-Malassis, 1784-1866), in-12 de VIII-208 pages. Frontispice et 4 portraits hors texte.
Cette édition comprend quelques lettres nouvelles recueillies dans la Correspondance secrète de Métra ; mais il y manque quelques-unes de celles qui figurent dans le Porte-Feuille ; nous les avons rétablies dans cette édition édition. L'éditeur a publié également deux fac-similés qui ne peuvent tromper personne sur l'authenticité du recueil.
Centenaire bibliographique 1783-1883. — CORRESPONDANCE DE Mme GOURDAN, DITE « LA COMTESSE ». Pour servir à l'Histoire des mœurs du XVIIIe siècle, et principalement de celles de Paris. Nouvelle édition augmentée de lettres inédites, de notes, suivie de la description de sa maison et des diverses curiosités qui s'y trouvent, et précédée d'une Étude-Causerie sur les sérails du XVIIIe siècle, par Octave Uzanne. A Bruxelles, chez Henri Kistemaeckers, éditeur, 1883, gr. in-8 de XLVIII-28o pages, tirées en deux couleurs. Frontispice. (Li5, 394, Réserve.)