- She : roman / Rider Haggard ; version française de Georges-A. Benett.- [Bruxelles] : La Centaine, [1945].- 264 p. ; 21,5 cm.
PRÉFACE
TRADUITE dans toutes les langues, l'œuvre de Rider Haggard a connu des années durant un succès sans cesse croissant. l'Angleterre tout entière s'est d'abord passionnée pour cette histoire extraordinaire, puis la France et jusqu'à la Hongrie où de violentes polémiques s'engagèrent, il y a quelques années à peine.
Les querelles littéraires suscitées par ce livre ne se comptent d'ailleurs plus. Sans vouloir entrer dans le détail, je rappellerai cependant celle qui déchaîna la colère de Mr. Pierre Benoît, dont la fameuse Atlantide fut tout simplement taxée de plagiat. Le romancier français prétendait ignorer l'existence même de She ; ses adversaires lui reprochaient par contre d'avoir utilisé sans scrupule aucun la thèse de Haggard et d'en avoir fait une simple transposition.
Loin de moi l'idée de revenir à ce débat ancien. Il est trop facile — et le lecteur s'en apercevra vite — d'établir l'étrange analogie des situations, des personnages, de l'inspiration première enfin, qui présentent plus d'un point commun. Ici comme là, le plein cœur de l'Afrique, une reine d'une beauté fragile, aux charmes pleins de pièges, magicienne aussi, et terrible ; ici comme là, le jeu de la Vie et de la Mort... Le moins que l'on puisse en déduire est une identité déconcertante à plus d'un titre.
Mais ne nous écartons pas. Un fait est certain : l'intérêt toujours vivace de She. Il y a encore cette poésie que l'on retrouve à toute les pages, et cette figure qui se détache, lumineuse et captivante aux confins du réel et du rêve.
Femme dans l'entière acceptation du terme, Ayesha est riche tous les trésors du monde, comblée de tous les honneurs ; mais elle souffre d'un mal inguérissable, et ce mal c'est celui de l'Amour.
Car She est avant tout un roman d'amour, et si l'aventure y tient une place prépondérante, nous vibrons surtout devant l'intense misère intérieure de ce cœur de femme à qui il manque un peu de tendresse, un peu de ces riens qui repeuplent la vie et la font s'auréoler de chaleur et d'espoir.
Traduire cette œuvre, dans sa forme originale eût été une impossibilité. C'est pourquoi, la version que l'on va lire est une interprétation, fidèle il est vrai, mais dépouillée des longueurs inévitables, bien propres à certains écrivains anglo-saxons.
Est-ce ou non trahir la pensée de l'auteur que de supprimer ces descriptions par trop longues, et souvent incohérentes qui faisaient tache dans l'ensemble et compromettaient de ce fait le sens profond, ainsi que la ligne générale de l'intrigue.
Des nombreuses traductions existant en français, je n'en ai trouvée aucune qui fut conforme au texte anglais intégral.
Chacun avait compris que loin de nuire au roman, c'était au contraire régénérer si l'on peut dire, cette magnifique histoire, en la mettant au niveau du lecteur de langue française et en la décantant de toutes ses lourdeurs.
Il fallait à tout prix dégager le récit du fatras de détails qui ne pouvaient que l'empâter, de ces innombrables digressions, parfois intéressantes, peut-être, mais n'ayant avec l'aventure elle-même que les rapports les plus lointains.
Le mieux n'était-il pas de donner au public le drame d'Ayesha dans toute sa cruauté - drame pitoyable en vérité que celui de cette femme, qui en dépit de sa toute puissance, attend depuis vingt siècles la venue de l'Aimé.
Lutte tragique, destin impénétrable de cette She que la mort vient frapper alors qu'enfin triomphe l'Amour tant espéré.
Antinéa ou Ayesha, leur souffrance est la même car leur orgueil princier n'est jamais arrivé à étouffer les élans de leur cœur. Et leur antique puissance ne peut s'incliner sans murmures devant les décisions d'une âme aimante, soudain vaincue.
La Femme enfin triomphe, l'Amour en fait sa chose, et rien ne compte plus si ce n'est son désir.
On me pardonnera dès lors l'interprétation que d'aucuns trouveront libre, puisque je n'ai cherché à rendre qu'une She plus vraie, plus proche et plus humaine.
G. A. B.