mardi 5 juin 2007

Exhortation (1649)


  • Reprod. de l'édition de Paris, 1649, chez Arnould Cottinet. Imprimé à Évreux, par Ch. Hérissey, le 8e jour de mars 1877, pour H. Herluison, Libraire, demeurant à Orléans. Tiré à soixante exemplaires, dont quatre sur peau de vélin. [N°48].


Sous la cuirasse guerrière, Jeanne d'Arc a porté le coeur le plus compatissant & le plus ami de la paix. Si elle eût été à Londres en 1643, elle se serait certainement jointe aux dames qui présentèrent aux Communes la célèbre pétition pour La Paix ; la prier aujourd'hui de descendre de l'Olympe pour venger les crimes commis & l'échafaud de Chares Ier, compter sur la voix de cette jeune fille pour armer la main des peuples & des rois contre la perfide Albion par qui elle avait tant souffert, c'est pourtant d'une excellente intention.

Du reste, elle n'en descend pas seule : la Thémide Astrée l'accompagne ; la Justice ne peut manquer de la suivre ; la Vérité, la Honte & la Foy, foulées aux pieds, l'invoquent contre l'Anglais. Ce qu'Apollon disait autrefois à Pâris, lors du siège de Troie, les Déesses le disent à Paris, sans y trop rien changer.

Armez-vous, ô Ciel, & vous, ô Terre ! Beau Soleil, cachez à nos ennemis votre face lumineuse. Feu, air, eau, terre, attaquez-les de toutes parts ! Cieux, ne tournez plus pour les Anglais ! Descendez de votre sphère, ô Feu élémentaire ! O Terre, ouvrez-vous pour les engloutir !

Et vous, simple bergère, sous la houlette divine de qui marchent Darius, Solon & Tite-Live, fallait-il que les Anglais vous infligeassent un trop tyrannique supplice pour vous voir redescendre de l'Empyrée en si brillant état, leur déclarant à nouveau la guerre sur la carte du perpétuel resouvenir ? La piété des peuples vous voyait encore, douce guerrière, sur un bûcher, toute entourée de l'auréole de la paix & du pardon, holocauste offert pour la patrie au point culminant de ses désastres & de ses malheurs. Pauvre Jeanne ! peut-être, au milieu des si beaux atours & sans vouloir manquer de respect à Mademoiselle Scudéry, peut-être vous souvient-il pourtant de la chaumière où vivait un père, au temps jadis, des rives verdoyantes où, inattentive aux guerres, vous fleurissiez, modeste & pure, laissant la pensée d'En-Haut se reposer en votre âme, comme une goutte de rosée dans le calice d'une fleur, de ce temps, encore, que chaque nuage paisible vous apportait une parole, et qu'à vos oreilles le bon archange Michel murmurait :

Fille, accomplissez la chose ;
Et Dieu sera avecques vous !
Qui vous gardera comme une rose !

Misère du siége d'Orléans, v. 7131

RENÉ DE MAULDE.