mardi 1 avril 2008

Belgicismes


  • Ne dites pas... Dites... (Belgicismes) / Omer Englebert en collaboration avec André Thérive.- Bruxelles (192, rue royale) : Labor, 1942.- 62 p. ; 25 cm.


PRÉFACE

Le public belge dira peut-être : « A quoi bon ce nouveau répertoire de belgicisme ? On en a confectionné combien d'excellents dans le passé, et particulièrement dans les dernières années ! »

Il est vrai que, depuis trois siècles, nombre d'esprits éclairés et charitables ont tenté de désinfecter le langage des Belges qui parlent français. Qui ne connaît l'œuvre méritoire des Chifflet, des Galand, des Courouble, des d'Harvé, des Borsu, des Rigot, des Roty et des Deharveng ?

« Ferez-vous mieux qu'eux ? » demandera-t-on.

Non, certes ! Aussi me suis-je borné à aller à leur école, retenant leurs découvertes quand elles étaient bonnes, les écartant quand elles ne l'étaient pas, et m'efforçant d'ajouter ce qu'ils pouvaient avoir oublié. J'ai disposé le tout de telle façon qu'il fût aisé au premier venu de s'y retrouver et de faire son choix ; et de plus j'ai tâché d'être court.

Une sèche brièveté a ici son prix. Si vous êtes long, il est à craindre qu'on ne vous suive pas jusqu'au bout, ou tout au moins qu'on ne retienne pas grand'chose de vos éclaircissements. Le lecteur se souviendra surtout que la question était épineuse, et que l'auteur, pour sa part, avait essayé de la débrouiller.

Le Père Deharveng rédigea d'abord une demi-douzaine de recueils très copieux. La mort interrompit, hélas ! sa carrière. Mais déjà, lui-même avait senti qu'il convenait de ramasser ses longues dissertations en un AIDE-MÉMOIRE, qui s'étendait d'ailleurs sur trois cents pages. Je ne doute pas, s'il avait survécu, qu'il ne l'eût encore fort abrégé, en vue de le rendre plus utile.

Cet AIDE-MÉMOIRE a des mérites plus variés que mon modeste guide-ânes. Outre un certain nombre de belgicismes qu'il dénonce et corrige, il s'en prend à des fautes de grammaire, de syntaxe et de prononciation dont les Belges ne sont pas seuls à se rendre coupables. L'apostolique jésuite travaillait à purifier la France, la Suisse romande et le Canada, aussi bien que la Belgique. Aussi, plusieurs critiques français soulignèrent-ils le profit que leurs compatriotes eux-mêmes pouvaient tirer de son travail.

Ici, l'auteur ne fait la leçon à personne. Pour ma part, je déclare que les Français, les Canadiens et les Suisses n'ont rien à prendre chez moi. Je n'ai en vue que les Belges. Et c'est encore trop dire. A proprement parler, je m'adresse aux seuls Belges qui veulent parler comme on fait en France.

Je n'ai pas, en effet, l'outrecuidance de faire la leçon à qui que ce soit. Si certains Belges prétendent être en droit d'user du français à leur guise, je prendrai garde de ne pas les détromper. Je leur dirai, au contraire : « Puisqu'il en est ainsi, aux « ne dites pas » de cette brochure, substituez simplement des « dites » à volonté, et remplacez les « dites » par autant de « ne dites pas ». Approvisionnez-vous à votre gré dans les colonnes de gauche, et délaissez les colonnes de droite. »

C'est d'ailleurs ce que recommandait Remy de Gourmont, en 1915, aux écrivains de Belgique réunis à Paris. Il admirait la langue particulière qu'ils parlaient et les engageait à ne point l'abandonner : « C'est d'une belle indépendance d'esprit, disait-il, que d'apporter au milieu des Parisiens moqueurs cet accent du terroir, cette boue attachée à ses souliers provinciaux. Quand les écrivains belges vont retrouver leur patrie... qu'ils écrivent la langue de leur éducation, qu'ils ne rougissent pas si elle est parfois teintée de belgicisme, trempée dans les originalités locales. »

Pour qui voudra suivre ce conseil, la question se posera, pourtant, de savoir quelle quantité de belgicismes il pourra fourrer dans son langage et ses écrits. Le dosage ne sera guère facile, car il est des belgicismes de toute sorte.

Il y a des flandricismes : « drève », « crolles », « venez une fois voir », « je ne sais de rien », qui sentent le flamand dont ils sont traduits.

Il y a des wallonismes : « je ne peux mal », « j'ai bon », « j'ai facile », « berce », « baise », etc., qui sont des provincialismes comme il s'en trouve en tous pays d'oc et d'oïl, mais qui n'ont point passé dans le parler de l'Ile de France.

Il y a des archaïsmes : « septante », « nonante », etc., dont l'usage s'est perdu en France et maintenu en Belgique.

Il y a des barbarismes : « renseigner un détail », « soulever un lièvre », etc., qui sont des fautes ou de simples méprises.

Et il y a enfin des termes français : « ajoute », « pistolet », « quartier », « s'il vous plaît », etc., qui revêtent en Belgique une signification qu'ils n'ont pas en France.

De tous ces belgicismes, lesquels retenir, lesquels proscrire ?

Si Remy de Gourmont vivait encore, sans doute pourrait-il l'indiquer.

Les exemples cités plus loin montreront quels sont les « belgicismes » dont les académiciens, journalistes et autres écrivains de Belgique font usage.

Les imite qui voudra. Les amateurs de parler belge pourront toujours se prévaloir d'autorités nombreuses avec lesquelles je ne veux aucunement entrer en conflit.

En ce qui me concerne, je le répète, je ne m'adresse qu'aux Belges dont le désir, à tort ou à raison, est de parler comme les Français.

C'est pour ceux-là que je publie la présente nomenclature, après l'avoir établie pour mon propre compte et amendement, depuis bientôt dix ans que je vis en France.

J'ai dressé trois listes : la première, sous la rubrique « ne dites pas », aligne les quelque cent « belgicismes » les plus répandus.

Je n'exige aucunement qu'on me croie sur parole. Aussi ferai-je volontiers confidence au lecteur des précautions que j'ai prises pour ne pas l'induire en erreur.

Afin d'être sûr que les expressions signalées pour être des « belgicismes » en étaient réellement, j'en ai soumis la liste à divers écrivains français de renom qui m'ont assuré que c'étaient bien là autant de locutions inusitées en France.

La traduction des dits « belgicismes » a reçu pareillement leur approbation, en ce sens qu'ils ont garanti qu'elle était bien française.

La troisième liste : « on dit en France », n'a pas pour but de recommander toutes les expressions qui s'y trouvent, mais seulement d'établir que ce ne sont pas là « belgicismes » ou façons de dire propres aux Belges.

Ici, il convenait de citer, dans chaque cas, mes répondants. Tantôt, je m'en rapporte aux dictionnaires que chacun peut consulter. Tantôt, je me prévaux de l'opinion très considérable de M. Ferdinand Bruno ou de M. André Thérive.

Pour ce qui est de M. André Thérive, je ne saurais trop lui témoigner ma reconnaissance. Il a collaboré de très près à mon travail, le relisant et corrigeant plusieurs fois d'un bout à l'autre, et par là lui conférant la seule autorité à laquelle il puisse prétendre. C'est à lui-même qu'on doit les initiales majuscules (B. A. — P. F. — C. L. — I. P. C. F.) qu'on trouvera partout répétées, pour qualifier les expressions qu'elles accompagnent. En voici la signification :
  • B. A. = belgicisme antifrançais.
  • P. F. = provincialisme français.
  • C. L. = expression correcte et littéraire.
  • I. P. C. F. = incorrection populaire, mais courante en France.

Omer ENGLEBERT.