vendredi 18 avril 2008

William Hayley (1745-1820)


  • Vieilles filles : essai satirique / traduit de l'anglais [de William Hayley] par M. Sibille.- [Réimpression de l'éd. de 1788].- Bruxelles (30, rue d'Arenberg) : Les Editions Cosmopolis, 1946.- 97 p. ; 18,5 cm.- (Feuilles oubliées ; 3).
    • 1000 exemplaires de ce livre ont été imprimés en juin 1946 pour les Editions Cosmopolis à Bruxelles, 30, rue d'Arenberg. Ceci est le n°108.

INTRODUCTION

A mesure que la bienveillance éclairée et la véritable philoso­phie se sont répandues dans le monde, tous les écrivains se sont empressés de consacrer leur plume au service de l'humanité.

Plus d'un aspirant moraliste, embras­sant dans ses vues le cercle entier de la création, a cru pouvoir se rendre utile à tout le genre humain ; mais d'autres d'une ambition plus modérée, se sont contentés de choisir pour objet de leurs travaux, une classe de mortels exposés par leur situation à un genre de faiblesses, ou accablés sous le poids d'une oppression peu méritée. Un philosophe français a généreusement soutenu la cause de ces êtres infortunés que l'on désigne sous le nom d'auteurs ; et un Anglais philanthrope, par un motif égal de bienveillance, a écrit un traité sur les ramoneurs. Quelque différents que paraissent en eux-mêmes les maux que ces deux classes sont condamnées à souffrir, en les examinant de près, on trouve entre elles une ressemblance frappante, tant par l'espèce de services qu'elles nous rendent que par les mortifications qu'elles essuient. C'est le devoir d'un auteur, s'il entend bien sa profession, d'enlever ces parties noires et amères qui se logent dans le cerveau, et de donner au péricrâne de ses lecteurs le même degré d'assurance et de netteté que le balai du ramoneur procure à la maison de celui qui l'emploie. Le salaire qui revient à chacun d'eux pour l'impor­tance de leurs services, n'est nullement proportionné au profit que le monde en retire. Ils ont tous deux un sort amer ; mais l'amertume de la suie est si douce, en comparaison des mortifications qu'éprouve le malheureux obligé de tirer une subsistance maigre et précaire de l'exercice de sa plume ! On doit sans doute infiniment aux essayistes de France et d'Angleterre, pour avoir entrepris d'alléger le fardeau pesant sous lequel gémissent ces deux classes infortunées ; mais je me flatte de les avoir surpassés en consacrant mes veilles à la défense d'un ordre encore plus digne des regards et de la protection d'un philosophe : je veux dire la confrairie des vieilles filles, dont le sort, peut-être aussi dur et aussi injuste que celui des deux êtres que je viens de comparer, n'est jamais adouci par l'idée consolante qu'ont les premiers, qui, tout mal récom­pensés qu'ils sont, goûtent au moins la satisfaction de remplir dans les scènes variées de la vie, un rôle utile et nécessaire.

Nouveau Don Quichotte, je me voue tout entier au service des vieilles filles ; je m'engage à redresser les torts de la vierge automnale, et à l'élever, si possible, à un état d'honneur, de conten­tement et de plaisir. Je commencerai par quelques réflexions sur la cruauté et l'injustice du mépris satirique dont le commun des hommes se plaît à accabler les vierges surannées ; mépris dont les suites funestes, en rendant leur sort plus déplorable, sont d'abattre leur courage et d'aigrir leur caractère. Je montrerai ensuite à quels défauts particuliers leur situation les expose, et les bonnes qualités qu'elle peut donner.

En me déclarant ainsi le champion des vierges ridées, mon but est de les amuser et de les instruire; et si mes succès répondent à mes vœux, j'espère qu'elles recevront favorablement cette production destinée à leur être utile, et que mon livre pourra un jour mériter d'être appelé LE MANUEL DES VIEILLES FILLES.

Comme le bon effet d'un avis dépend presque toujours de l'estime qu'on a pour celui qui le donne, je puis, sans aucune espèce de vanité, dire un mot de ma conduite désintéressée dans la composition de cet Essai. Si j'avais à employer le temps et la peine qu'il m'a coûté, en faveur des autres membres de la Société, tels que des généraux ou des ministres disgraciés, je pourrais, quoi­qu'on pense de ce paradoxe, obtenir ou quelque bonne place ou quelque pension pour prix de mes travaux; puisqu'il semble que ce soit une maxime d'état de remettre sur le pinacle ces grands serviteurs chargés de l'exécration publi­que, et que plus ces chefs politiques se sont plongés dans l'infamie, plus il y a de probabilités qu'on pourra les revoir un jour s'élever à un degré au-dessus de celui où ils sont tombés. Or, dans le cas présent je n'ai aucun espoir à tirer d'une semblable révolution ; car quoique les personnes pour lesquelles j'écris, jouissent rarement de la faveur publique, il n'y a pas la moindre apparence qu'aucune d'elles parvienne jamais à titre admise dans les cabinets des puis­sances ou des premiers ministres de l'Europe, ou qu'elles obtiennent aucune influence sur les États-Unis d'Amérique.