- Le prêtre chatré ou le papisme au dernier soupir.- Réimpression textuelle faite sur l'édition rarissime et unique de La Haye, 1747, et précédée d'une notice bibliographique et historique.- Genève : chez J. Gay et fils, 1868.- XII-48 p. ; 16 cm.- (Raretés bibliographiques).
- Raretés bibliographiques : Réimpressions faites pour une société de Bibliophiles, à cent exemplaires numérotés, 96 sur papier de Hollande et 4 sur papier de Chine, plus deux sur peau de vélin. Exemplaire n°97.
NOTICE SUR LE PRÊTRE CHATRÉ
Voici un ouvrage bien rare et que bien peu d'amateurs ont eu l'occasion de voir, car depuis soixante ans, à la vente de Méon où il fut adjugé pour dix francs, jusqu'à ce jour, à peine en a-t-il paru un autre exemplaire dans les ventes publiques et l'on ne le rencontre pas davantage même dans les bibliothèques les plus complètes.
On consulterait inutilement le Dictionnaire des Anonymes de Barbier pour chercher à en connaître l'auteur. Nos recherches pour découvrir quelques traces du texte original dans les bibliographes anglais, sont demeurées infructeuses ; cependant, nous croyons en effet qu'il y a là une traduction. On ne peut y méconnaître cette ironie empreinte de l'humour britannique dont Swift donnait à cette époque un exemple dans son Modeste projet pour rendre utiles les enfants pauvres ; ce projet consistait tout simplement à les engraisser pour les manger ensuite. De nos jours, on a publié à Londres, sous le pseudonyme de Malchus, une autre sombre facétie du même genre ; il s'agit d'un appareil pour faire mourir, sans aucune douleur, les nouveaux-nés dont le trop grand nombre amène dans la population un accroissement, objet d'effroi pour le célèbre économiste Malthus et ses disciples : mais personne ne prit au sérieux l'idée de Swift, tandis que nous avons vu, il y a vingt ans, la proposition du soi-disant Malchus signalée dans de graves écrits comme un symptôme aussi sérieux qu'épouvantable des maux qui frappaient la société anglaise.
A défaut de renseignements bibliographiques sur ce petit ouvrage mystérieux, nous pourrions petit-être examiner diverses questions historiques au sujet de l'eunuchisme des ecclésiastiques ; on sait que, chez les Grecs et les Romains, les prêtres de Cybèle étaient soumis à la castration ; une secte des premiers siècles du christianisme recommandait également cette pratique comme un acte religieux et elle conserve encore quelques adeptes clans la Russie méridionale ; mais tout ceci exigerait des développements qui ne seraient pas à leur place en tête de l'opuscule si court que nous reproduisons. Cependant, pour allonger un peu notre notice, nous demanderons la permission de reproduire ici quelques passages d'une lettre que la question du célibat des prêtres a engagé un jeune papiste de nos amis à nous écrire :
« ... Si Pougens vivait encore, je lui aurais signalé un mot à ajouter dans son Vocabulaire de nouveaux privatifs français. Si les Directeurs de l'Imprimerie du Cercle Social font des petits, je donnerai volontiers trois livres 10 sous de part contributive pour une nouvelle édition du Vocabulaire privatif dans laquelle figurera le mot Incocu, privatif naturel, nécessaire et logique du mot Cocu. Car si la chose ou l'individu existe, il doit y avoir un mot pour l'exprimer. Or, puisqu'il y a des gens, qui ne sont pas, qui ne peuvent pas être cocus, pour les dénommer il faut créer le mot INCOCUS.
« Assurément, tout homme marié est susceptible d'être Cocu ; tout célibataire qui a donné sa parole d'honneur à sa maîtresse et a reçu d'elle sa foi, peut également devenir cocu. Une seule classe d'hommes dans le monde entier peuvent rendre Cocus leurs voisins, sans avoir jamais à craindre de l'être eux-mêmes, car aucun lien charnel ne doit les attacher... sur la terre.
Depuis longtemps, les membres de cette classe ont fait pas mal de cocus ; ce qui ne les empêchait pas d'aspirer ardemment à obtenir d'être susceptible de le devenir eux-mêmes. Çà n'a pas pris. Mais je laisse la parole au grave de Thou (Histoire universelle, livre XXXVI), dont le témoignage ne peut être suspect pour qui que ce soit ; sans quoi, j'en appellerais tout droit au Concile de Trente lui-même :
« Maximilien (empereur d'Allemagne) écrivit le 28 novembre au pape (Pie IV), pour lui demander de relâcher quelque chose de la sévérité qu'on observoit ce qui concerne le mariage des prêtres.
« On ne peut nier, disait-il, que dans la primitive Eglise, en Occident, comme en Orient il n'ait été libre et permis aux prêtres de vivre dans le mariage, jusqu'au temps de la défense faite par le pape Calixte. C'est pourquoi, comme la nature humaine est fragile, que tout homme est porté au mal dès sa plus tendre jeunesse, que la chair est l'aiguillon du péché, que la voye de la continence est étroite et difficile, qu'il y en a peu qui ne sentent l'aiguillon de la chair et que le feu de la concupiscence est tel qu'il nous dévore pour nous perdre, Denis, évêque de Corinthe, avertit sagement Pinythe, son suffragant, de ne pas imposer à ses frères le fardeau du célibat comme une chose nécessaire, mais d'avoir égard à la faiblesse et à l'infirmité du plus grand nombre.
« Que si cet avis a paru alors sage et digne du saint homme qui le proposait, si la conduite qu'il inspirait a paru nécessaire pour conserver d'un côté la bienséance et l'honnêteté et de l'autre pour condescendre à la faiblesse et à l'infirmité des hommes, combien est-elle plus nécessaire dans ce malheureux siècle où à peine s'en trouvera-t-il un seul dans un grand nombre qui vivent chastement dans le célibat, où presque tous sont publiquement débauchés et impudiques au grand danger des âmes et au scandale des peuples ? Outre cela, il y a une grande disette de prêtres, parce que le mariage leur est défendu, les écoles de théologie catholiques sont vuides et chacun, au mépris des évêques, court à celles des protestans. Etc.
« Quelques fortes que fussent ces raisons, quelques pressants que fussent ces besoins, et quelques instances que l'empereur fit, il fut impossible de rien obtenir du pape. »
« Eh bien, dans cette grave affaire, qui se fourrait le doigt dans l'œil ? C'était l'empereur Maximilien. — Et qui y voyait clair ? C'était le pape Pie IV, qui avait hérité des lunettes du pape Calixte.
« En effet, des archevêques anglais, allemands, russes, peuvent être cocus ; des grands rabbins peuvent être cocus ; des rois et des empereurs sont cocus : un pauvre diable de vicaire, de diacre catholique être cocu ? Jamais de sa vie ! Quel admirable privilège ! Quelle radicale différence entre la nature ecclésiastique catholique et la nature humaine du reste des mortels ! Quel prestige !
« Si l'Église catholique est la seule de l'univers dont les ministres ne peuvent, quoi qu'on fasse, être cocus, elle le doit aux Calixte et aux Pie IV, et jamais elle ne saurait trop honorer leur mémoire.
« Messieurs les protestants ont protesté et protestent de toutes leurs forces contre ce grand privilège. Ils prouvent tant qu'ils peuvent que la papauté ne demande pas aux prêtres et aux moines de s'abstenir de femmes, mais seulement de ne pas se marier. Les Inconvénients du célibat des prêtres (Genève, 1781, in-8°) remarquent, page 356 et suivantes, que les évêques, les synodes, les conciles, les papes ont toujours toléré chez les prêtres, le concubinage et l'adultère avec les femmes mariées ; et que tous les rois de l'Europe successivement (à l'exception peut-être des seuls rois d'Espagne), voyant que le but apparent du célibat des prêtres était d'en faire une milice étrangère aux États qui la payaient et uniquement aux ordres de la cour de Rome, ont toujours demandé, mais en vain, qu'il leur fut permis de se marier et de devenir cocus comme tout le monde. C'est même parce que Rome s'y est obstinément refusée que la Réforme a été favorisée par plusieurs princes et que le protestantisme s'est établi dans beaucoup d'endroits.
« Mais ces braves protestants, s'ils s'imaginent parvenir à l'emporter sur le pape, sont dans une erreur complète, et ils se mettent le doigt dans l'œil aussi bien que le faisait tout à l'heure l'empereur Maximilien. Transformez cette admirable unité cléricale du catholicisme, en une multitude de cocus menés, sans s'en douter, par le bout du nez par mesdames leurs épouses, et vous détruisez la religion elle-même. Ainsi, qu'est-il arrivé pour le protestantisme ? A mesure qu'il s'est étendu, il s'est divisé, il s'est affaibli. Parmi les protestants, quelques-uns, comme les méthodistes, les piétistes, etc., appréciant mieux leur position que les autres, se rapprochent de plus en plus du bercail, où comme l'Enfant prodigue, ils vont revenir un de ces jours solliciter leur pardon, lequel leur sera certainement accordé, mais à la condition sine qua non, de revenir au célibat. »