jeudi 3 avril 2008

Léon-Alpinien Cladel (1834-1892)


  • Petits cahiers / de Léon Cladel ; eau-forte de L. Lenain.- Bruxelles (25, rue royale) : Henry Kistemaeckers, MDCCCLXXIX [1879].- 142 p.-[1] f. de pl en front. & [4] p. de fac-sim. + [6] p. de prospectus ; 14,5 cm.
    • Tirage à 200 exemplaires sur papier vergé et 100 exemplaires sur papier du Japon véritable.
    • Contient : Paul-des-Blés ; l'Ancêtre ; Une Maudite ; Chez les Morts ; La Générale à la Jambe de Bois ; Bêtes et Gens.



PROSPECTUS

Librairie Henry KISTEMAECKERS

BIBLIOGRAPHIE

L'HOMME QUI TUE !
(Les Bureaux arabes sous le second Empire)
par
X.X.X.

Tome Ier. — Le Ventre de Lalla-Fathma.
Tome II. — L'Assaut des Lupanars.
2 volumes in 16 (format charpentier). Prix : 6 francs.

Voici comment le critique Georges Gerber s'exprime au sujet de ce livre dans la Révolution française, du 17 floreal an 87 (Mardi 6 avril 1879) :

Quand on écrit une oeuvre comme celle que nous allons étudier, où tout lion serait fier d'apposer sa griffe et d'empreindre son sceau — ainsi que le dit Léon Cladel dans une magnifique préface — pourquoi ne pas la signer ?... Je ne veux pas dévoiler la puis­sante personnalité qui se dérobe sous le triple anonymat X. X. X. à qui nous devons déjà le Roman du Curé — dont j'aurai à parler un jour — mais je dois dire ici que l'auteur, dans ces pages émouvantes, a fait entendre la voix de la vraie France.

L'Homme qui Tue! les Bureaux Arabes sous le Second Empire, tel est le titre du livre dont nous parlons. Cela en dit assez ; on voit de quoi il est question.

L'auteur a passé de longues années en Algérie, rapière au côté, pistolets dans les arçons, fusil braqué sur le Kabyle. Dans cette Algérie qui nous appartient, parce qu'en un jour de mauvaise humeur le dey Hussein frappa de son chasse-mouches M. Delval, consul de France. Dans ce pays où nous voulons à toute force faire pénétrer notre civilisation à l'aide du pillage et des massacres. X. X. X. c'est le soldat pacifica­teur et civilisateur. Lui s'intitule : l'Homme qui Tue ! Et alors il nous narre ses faits et gestes.

Cet ouvrage est bien moins un roman qu'un feuillet sanglant de l'histoire des nations qui, sous le fallacieux prétexte de civiliser des sauvages, sont parties à la conquête de peuples peu soucieux d'être conquis, se sont mises en campagne pour asservir des pays qui ne demandaient qu'à vivre tranquilles et libres. Donc, récalci­trants, on vous civilisera quand même. Et pour cela, tous los moyens seront bons.

Dans la forme, l'Homme qui Tue est violent, mais d'une violence nécessitée par le récit même des épisodes qui s'y trouvent. L'auteur n'a pas fait du naturalisme — puisque le mot est à la mode — pour l'amour du naturalisme. Il a vu, il raconte. Le mot est crû parfois et peut frapper désa­gréablement le tympan du bourgeois dodu et satisfait ou du damoiseau en quête de bouquins littéraires et malpropres, tant pis !

Ce livre n'est pas écrit pour eux. Il est fait pour nous qui voulons la vérité, nue ou voilée, peu nous importe, mais la vérité tout entière. Les tableaux se déroulent à nos yeux, saisissants. On frémit d'indigna­tion ou d'horreur, mais on est empoigné. Et de redoutables points d'interrogations se dressent. On se dit : Est-il possible ? La soldatesque en furie pille, tue, vole, viole. On se rend maître de la retraite Le Ventre de Latta Fathma au bruit du clairon ; mais on monte à l'Assaut des Lupanars de la porte Djebbia, au cri de : Vive l'empereur ! et au chant du Pou et de l'Araignée. Bon Dieu ! à de telles scènes, on ne croirait pas, mais c'est un revenant qui nous les raconte, et il y a joué son rôle comme les autres.

De ce livre puissant d'originalité où tout vit, fourmille, où, à chaque instant, vous recevez en plein visage les éclats de rire stridents des filles de joie et les jurements des troupiers, de cette œuvre brûlante et sauvage comme les déserts de la Kabylie, que ressort-il ? Quelle conclusion tirer ?

L'auteur n'a pas seulement eu pour but de nous faire toucher du doigt la façon dont on colonise l'Algérie. Après avoir été l'Homme qui Tue, il est devenu l'homme qui pense. D'abord soldat ; philosophe ensuite. La moralité qui se dégage nettement de son oeuvre est celle-ci : L'homme de guerre se trouve placé, par la force des choses, entre sa conscience d'honnête homme et ses devoirs de soldat. Qui l'em­portera ?

Une grande question se pose : si l'obéis­sance passive doit tuer la conscience, si le soldat doit détruire le citoyen, n'est-il pas urgent que la Révolution porte son fer rouge dans le métier de l'Homme qui Tue ?

Qu'on ne s'y méprenne point ; agiter ce redoutable problème, ce n'est pas s'atta­quer directement à l'armée — et quand cela serait ? — c'est signaler une affreuse plaie de notre société, c'est tout simplement dé­clarer la guerre à la guerre. De tels ouvrages se recommandent à l'attention et à la médi­tation de tous les hommes sérieux.

Georges GERBER.