lundi 7 avril 2008

Ernest Feydeau (1821-1873)


  • Fanny : roman / [Ernest] Feydeau ; [introduction par Auriant].- [Paris (Liège, Imp. Solédi)] : Louis Gérin éditeur, [1947].- 244 p.- 1 f. de pl. en coul. ; 19 cm.
    • Edition identique à celle publiée en 1946 par l'Amitié par le Livre.

INTRODUCTION

Ce n'est pas une précaution superflue que de pré­senter au lecteur l'auteur de Fanny.

Soixante-treize ans après sa mort, Ernest Feydeau n'est guère connu que d'une centaine de personnes qui, plus ou moins, s'intéressent à l'histoire littéraire.

Lui-même n'a presque pas d'histoire, ce qui ne veut pas dire qu'il fut un homme heureux.

Né à Paris, le 16 mars 1821, il vit, étant encore enfant, dans l'atelier de Gavarni, qui habitait la même maison que ses parents à l'angle des rues Fontaine Saint-Georges et Chaptal, quelques-uns des écrivains qui devaient illustrer le siècle. Il enviait leur sort, ne soupçonnant pas l'envers de l'existence des hommes de lettres. Forcé de gagner la sienne, il entra, à l'âge de vingt ans, en qualité d'employé chez le banquier Jacques Laffitte. Coulissier à la Bourse, il fit à ses moments perdus, un peu de littérature, en amateur. Après avoir collaboré au Musée des Familles, édité à ses frais un recueil de poésies, les Nationales, il publia, en 1856, une Histoire des usages funèbres et des sépultures chez les peuples anciens, dont le pre­mier fascicule, consacré à l'Egypte pharaonique, attira l'attention de Théophile Gautier, qui en fit dans le Moniteur un magnifique éloge. Feydeau s'empressa d'aller le remercier, rue Grange Batelière, se lia avec lui et le documenta pour son Roman de la Momie, que le poète d'Albertus, reconnaissant, lui dédia. Gautier, peu après, ayant pris la direction de l'Artiste, l'invita à y collaborer. Rue Laffitte, dans les bureaux de la revue, il fit la connaissance de Flaubert, qui y don­nait sa Tentation de Saint Antoine de Saint-Victor, des Goncourt, etc., qu'il retrouva pour la plupart, le dimanche soir, autour de la table de Mme Sabatier, la Présidente, à qui Gautier le présenta.

Depuis quelques années déjà, Feydeau portait dans sa tête chauve un petit roman conçu sur les thèmes jumelés de l'amant jaloux du mari et du supplice de l'adultère. L'accouchement en était laborieux. En jan­vier 1858, un jour qu'il passait par la rue de la Chaus­sée d'Antin, se rendant à son travail, surpris par une ondée mêlée de givre, il se réfugia sous la porte de l'hôtel du Cardinal Fesch. L'inspiration qui l'avait fui jusque-là le visita soudain. Tirant soit crayon de sa poche, il nota sur son carnet de Bourse ce qu'elle lui dictait :

« La maison est plantée de travers, sur une butte de sable, regardant l'océan de côté, comme si elle se méfiait de lui... »

Debout sous la porte, au milieu d'une vingtaine de passants, qui s'y étaient abrités comme lui, il crayonna le premier chapitre de son roman. Se sentant décidé­ment en train, et la pluie ne discontinuant pas, il héla un fiacre, se fit conduire à la Bourse, s'isola dans le cabinet des commis d'agent de change et il en écrivit le second :

« Si je me suis volontairement exilé dans cette affreuse solitude, c'est parce que, pour mon malheur, j'ai aimé et que j'aime encore... »

Le soir même, il partait pour Aunay, s'enfermait dans une petite propriété qui lui appartenait, et là, dans cette retraite, il acheva aux trois quarts l'histoire de Fanny et de Roger. De retour à Paris, au bout d'une semaine, il rendait visite à Flaubert, boulevard du Temple, et lui contait sa nouvelle.

C'était la confession d'un jeune homme de vingt ans qui a pour maîtresse une femme mariée, son aînée de quinze ans. Neuf en amour et passionné de tem­pérament, Roger devient jaloux de tout ce qui distrait Fanny de sa pensée, jaloux de ses enfants, jaloux surtout de son mari. Il la tourmente de ses questions indiscrètes, la torture par ses soupçons. Il la presse de tout abandonner pour lier sa vie à la sienne. Pen­sant l'y décider, il lui révèle ce qu'il vient d'appren­dre : la liaison de son mari avec une jeune actrice irlandaise. A sa vive surprise, non seulement Fanny refuse de le croire, mais encore elle prend contre lui la défense de son mari. Son jeune amant se persuade qu'elle le trompe avec l'homme qu'il cocufie. Décidé à en avoir le cœur net, il achète à Chaville, où Fanny est allée passer l'été, une maison de campagne contiguë à la sienne. Jour et nuit, derrière ses volets, il monte le guet...

Parvenu à ce point de son récit, Feydeau s'arrêta brusquement. Flaubert le regarda surpris. « Cela tourne court, lui dit-il, il y manque un dénouement. » Feydeau en convint. Pour amener le dénouement, il avait imaginé une scène, mais elle était si risquée que sa plume n'osait la retracer. A la demande de Flau­bert, il l'improvisa.

Une nuit d'août, rongé par la jalousie et n'y tenant plus, Roger, au risque de se rompre le cou, enjambe le balcon de sa maîtresse. Agenouillé sur la dalle, il colle ses yeux contre les deux vantaux mal joints de la fenêtre de sa chambre à coucher. Le mari est là, en bras de chemise, placide, calé dans un siège en cuir et fumant béatement un cigare. Une porte s'ouvre, Fanny apparaît. A demi-vêtue, elle va et vient par la chambre, parle à son mari. Roger devine qu'elle lui reproche sa trahison. Il se défend mollement. Comme elle passe et repasse devant lui, le frôlant avec la pro­vocante coquetterie d'une courtisane, il l'attire à lui, l'assied sur ses genoux, se penche à son oreille et lui demande quelque chose qu'elle est prête à lui accor­der, mais qu'elle feint de lui refuser afin d'exaspérer son désir. Sous les yeux égarés de son amant, elle va rejoindre toute nue son mari dans l'alcôve. C'est plus que le malheureux Roger n'en peut supporter. Il tombe comme assommé du balcon...

Flaubert engagea vivement Feydeau à écrire cette scène, l'assurant que le succès de son livre en dépen­dait. Ce fut aussi l'avis de Gautier, qui admira ce tour de force, mais qui, cette fois, oublia de mettre en garde Feydeau contre son fâcheux penchant « à enchaîner les mots les uns aux autres, ce qui donnait à ce qu'il faisait un tour éloquent qui n'était pas la meilleure forme littéraire », et qui le portait, aussi, à abuser des métaphores, dont il en fourrait jusqu'à quatre dans la même page. Malheureusement pour Fanny, ni Gau­tier, ni Flaubert ne firent, en outre, remarquer à Fey­deau qu'un homme qui se souvient de ses peines d'amour et les ravive avec sa plume est sobre, concis jusqu'à la sécheresse, incorrect peut-être, mais ne pense pas à orner son style, à tourner des phrases poétiques et que le comble de l'art est, en de tels sujets, de n'y point paraître.

On a prétendu que, son étude à peine parue, Fey­deau se précipita rue dit Mont-Parnasse, chez M. Sainte-Beuve, qui lui marquait beaucoup d'intérêt, et s'écria, en brandissant son livre : « Maître, voici un incendie ! »

Ce qui est sûr, c'est que Fanny enflamma M. Sainte-Beuve. Elle lui rappelait sa jeunesse. Elle lui rappe­lait aussi, et surtout, sa bien-aimée Adèle et un épisode de sa vie amoureuse que l'indiscrétion d'Alphonse Karr l'avait retenu de rendre public. La nouvelle de Feydeau s'apparentait à son Livre d'amour comme à certaines idylles de Tennyson, étant presque « un poème par la forme, par la coupe, par le nombre, par un certain souffle qui y régnait d'un bout à l'autre et qui marquait singulièrement dans les paragraphes ou plutôt les couplets du commencement ». En même temps qu'une analyse de la jalousie Feydeau avait donné avec Fanny le poème de l'adultère. Les sen­timents et les émotions de Roger M. Sainte-Beuve les avait connus, et ses angoisses, ses souffrances, son désespoir. Fanny, dans son souvenir, s'identifiait avec Mme Hugo. Elle avait son visage et sa voix.

Elle est là, mon Adèle, oh! je me la figure
Elle est là, je la vois, dans la vague posture
D'une femme qui rêve, étendue à demi,
Le sombre époux l'enferme, elle rêve à l'Ami,
Elle se dit qu'il l'aime et qu'il n'aime qu'elle.


La page où Roger évoque sa maîtresse restée seule, le soir, après le, départ de ses enfants, avec son mari, tandis que la flamme agonise dans l'« âtre », et qui finit sur ces mots : ils étaient époux?, à dix-sept ans d'intervalle, semblait à M. Sainte-Beuve l'écho de ses propres vers :

Adèle ! tendre agneau ! que de luttes dans l'ombre,
Quand ton lion jaloux, hors de lui, la voix sombre,
Revenait usurpant sa place à ton côté,
Redemandait son droit, sa part dans ta beauté,
Et qu'en ses bras de fer, brisée, évanouie,
Tu retrouvais toujours quelque ruse inouïe
Pour te garder fidèle au timide vainqueur
Qui ne veut et n'aura rien de toi que ton cœur.


Pour obtenir d'elle autre chose, qu'il convoitait ardemment, il avait, lui aussi, révélé à Mme Hugo la liaison de son mari avec une actrice, Mlle Drouet. Il y avait, dans l'idylle de Fanny et de Roger, un accent douloureux, déchirant, et je ne sais quoi de trouble et de voluptueux, à quoi M. Sainte-Beuve ne pouvait rester insensible. Feydeau l'étonna fort en lui révé­lant que cette histoire n'avait pas été vécue, mais ima­ginée par lui. M. Sainte-Beuve eût juré, « à la manière réelle, poignante et saignante dont toutes choses y étaient présentées » que l'auteur en avait été le héros. La scène du balcon, par tout ce qu'elle suggérait d'in­timité libertine, l'émoustilla. Passant sur les défauts de l'ouvrage, qui ne le frappèrent pas dans la disposi­tion d'esprit où sa lecture l'avait jeté, il ne marchanda pas à Feydeau les éloges dans son feuilleton du lundi qu'il lui fit l'honneur de lui consacrer, comparant Fanny à Adolphe et la proclamant bien supérieure au roman de Benjamin Constant.

« Les moralistes chrétiens, écrivait-il, ont parlé souvent en termes généraux, mais avec une grande vérité, des misères de la passion et de l'enfer de la jalousie ; on en a ici un exemple à nu, on a un damné qui sort de son gouffre et de son cercle dantesque pour nous faire sa confession atroce et d'une énergie truculente... La naissance, le progrès, les divers temps de ce mal de jalousie, tantôt assoupis et que le moin­dre mot réveille, tous ces degrés d'inquiétude et de torture, jusqu'à la fatale et horrible scène où il a voulu n'en croire que ses yeux et être le témoin de sa honte, sont décrits avec un grand talent, avec un talent qui ne se refuse aucune rudesse métallique d'expression, qui ne craint pas d'étreindre, de violenter les pensées et les choses, mais qui (n'en déplaise à ceux qui n'ad­mettent qu'une manière d'écrire une fois trouvée) a certainement sa forme et son style...

» Le livre flamboie et reluit : c'est l'œuvre d'un artiste ardent. »

En moins d'un mois, la première édition de Fanny se trouva épuisée. La seconde parut avec, sous forme de préface, une longue épître de Jules Janin, vantant à une « honnête femme » les agréments et mérites divers de ce « tout petit livre , livre exquis, éblouis­sant et plein d'abîmes ! » « Fanny, disait-il, c'est la dame annoncée par toutes les écritures de l'amour. Elle est la sœur de la belle Hélène et la sœur de Corinne, amoureuse d'Ovide. »

Ignorant les raisons personnelles et intimes que M. Sainte-Beuve avait de tenir Fanny en si haute estime, les moralistes de la presse avaient peine à comprendre son engouement. Pour ces esprits moroses, pour ces cœurs secs, qui semblaient n'avoir jamais connu l'amour, dont il leur arrivait, parfois de dis­serter, que par ouï-dire, Fanny n'avait nul attrait. Hip­polyte Rigaud, qui n'a pas laissé un nom dans la critique, l'éreinta longuement dans le Journal des Débats. Se voilant la face devant la « pantomime » à laquelle la femme adultère et son mari se livraient sous les yeux de l'amant fou de rage impuissante, « ici », s'écriait ce cuistre, « le silence profond dit le luxe de l'indécence ». Il terminait en déplorant qu'on ne retrouvât nulle part dans l'« étude » de Feydeau « la trace d'une intention morale qui rachète l'immo­ralité flagrante du sujet ». Plus sévère encore, Emile Montégut, aussi oublié aujourd'hui, mais plus injus­tement que Rigaud, écrivait dans la Revue des Deux Mondes : « C'est d'une lecture attristante, mais par compensation monotone et ennuyeuse au dernier degré. Ce livre a cependant un mérite que je ne peux nier, c'est une certaine habileté licencieuse. Les pires atti­tudes secrètes des deux amants sont comme photogra­phiées. »

Cette explosion de vertueuse indignation réjouissait fort M. Sainte-Beuve.

« La Revue des Deux Mondes vient de nous canon­ner avec tous les honneurs du gros calibre, écrivait-il à Feydeau. Avez-vous senti quelque avanie dans la voi­ture ? J'en doute. Fanny est un fin brick qui se rit d'eux — et vous et moi aussi. Et Flaubert pareille­ment que l'article de Rigaud avait fait rugir au com­mencement, puis éclater de rire à la fin.

Les détracteurs de Fanny allèrent à l'encontre de leur but. En insistant pesamment sur son indécence et son immoralité, ils contribuèrent puissamment à sa vogue. Alléchés par tout le mal qu'ils en disaient, les abonnés du journal des Bertin et de la revue de Bulot, à Paris comme en province et à l'étranger, voulurent respirer ce « petit flacon » où, selon Mon­tégut, « étaient enfermées les essences plus ou moins empoisonnées des œuvres applaudies depuis dix ans, la prétention à la moralité et la crudité lascive, les peintures voluptueuses, l'idôlatrie de la matière ».

Les hommes, à l'exception des maris trompés, eurent pour Fanny les sentiments de M. Sainte-Beuve, ceux-là en particulier qui, ayant comme lui aimé une femme mariée, avaient été jaloux du « som­bre » mais débonnaire « lion ». Quant aux femmes, celles surtout que MM. Rigaud et Montégut eussent, sur l'apparence, tenues pour irréprochables et qui, à l'insu du monde, qui ne mettait pas en doute leur vertu, et, bien entendu, de leurs époux, qui y croyaient aveuglément, avaient eu un ou plusieurs amants, elles mouraient d'envie de lire leur histoire, ce roman tant vanté par les uns et diffamé par les autres. Feignant d'en avoir oublié le titre, elles demandaient en rou­gissant aux libraires ce livre qui faisait du bruit et l'emportaient mystérieusement pour le dévorer en cachette. Bourgeoises ou grandes dames, elles enve­loppaient dans la même pitié les deux amants, et si elles plaignaient le romantique Roger, qu'elles enviaient à sa maîtresse, elles se sentaient portées à absoudre Fanny. Plus d'une avait agi comme elle ou, à sa place, ne se fût pas autrement comportée, les femmes, ait plus fort de la passion, perdant rarement la tête, le souci de leurs intérêts, de leur bien-être, de leur respectabilité, s'accommodant parfaitement de l'équivoque, y prenant même un certain plaisir per­vers, à l'encontre de tels de leurs amants qui ne souf­frent pas le partage et que celui-ci fait affreusement souffrir.

La caution de M. Sainte-Beuve évita à Fanny les graves ennuis qu'eussent pu lui valoir les accusa­tions d'immoralité lancées contre elle. Elle intimida la justice, qui ne voulut pas, après l'acquittement, l'année précédente, de Madame Bovary en correc­tionnelle, se couvrir de nouveau de ridicule. Ayant recueilli, comme le constatait M. Sainte-Beuve, « tout cet orage de bruit et de clameurs » qu'Emma avait soulevé, l'héroïne Feydeau éclipsa dans la faveur pu­blique celle de Flaubert. L'éditeur Amyot, à qui il avait vendu son « étude », en tira treize éditions dans l'espace d'un an, alors que Michel Lévy n'en avait tiré que cinq de Madame Bovary. Loin d'en prendre de l'humeur, Flaubert s'en réjouit au contraire pour son ami, au rebours de l'aîné des Goncourt, dont la mine s'allongea. Le canon tonnait à Magenta, comme Maxime du Camp entrait un jour à la Librairie Nou­velle. « Qu'y a-t-il de nouveau ? » demanda-t-il, voulant parler de la bataille en cours. « Il y a, lui répondit Edmond de Goncourt, que la Fanny de Feydeau en est à sa dixième édition et que c'est bien irritant ! »

Connu jusque-là comme archéologue, d'emblée Ernest Feydeau venait de s'imposer comme l'une des « personnalités les plus artistiques de son temps ». Il se croyait aussi artiste que Flaubert, qu'il admirait au point de l'imiter dans sa façon de « gueuler » ses phrases souvent toutes faites, mais surchargées de métaphores pour en apprécier la musique et la sono­rité.

Il se persuada qu'il était assez fort et assez habile pour continuer à mener de front ses deux professions d'homme de lettres et d'homme d'argent, bien que Mirès lui eût conseillé naguère de lâcher celle-ci pour celle-là. « Vous ne réussirez jamais dans les affaires parce que vous manquez de courage », lui avait-il dit, le courage, à la Bourse, consistant d'après lui, à affronter chaque jour le danger de devoir avec la certitude de ne pouvoir payer. Feydeau payait tou­jours ce qu'il devait.

Pour mieux se consacrer à l'art, qui exige, comme le lui disait Flaubert, des mains blanches et calmes, il eût dû quitter la Bouse après un coup d'éclat en publiant une « étude » sur le monde des affaires dont l'importance, avec l'accroissement incessant de l'industrie, se faisait chaque jour plus considérable, et qui jouait un « si atroce rôle », non seulement dans les destinées de son pays, mais dans celles aussi de l'univers. Près de quarante ans de pratique lui avaient permis d'accumuler les observations les plus précises et les plus précieuses. Il connaissait le dessous des cartes biseautées. Il avait été témoin de la rivalité meurtrière — pour les autres — qui avait mis aux prises le baron James de Rotschild et les frères Isaac et Moïse Pereire. Mais sans doute en est-il des secrets de la Bourse comme des secrets d'État : on peut les apprendre, on risque son honneur et quel­quefois même sa vie à les divulguer. Là aussi, Ernest Feydeau manqua de courage et du génie qu'il fallait pour faire concurrence à Balzac. Il entreprit d'autres « études », où, malgré ses prétentions à l'exactitude, la fantaisie avait plus de part que la réalité. De l'une à l'autre, de Catherine d'Overmeire à Daniel et de la Comtesse de Chalis au Lion devenu vieux, il alla en déclinant pour la plus grande joie de tous ses con­frères, qui ne lui avaient jamais pardonné l'éclatant succès de Fanny. Ses amis Gautier et Flaubert s'étaient un peu trop hâtés de lui dire qu'il était un homme et un gars. Feydeau n'était qu'un brave homme, dont l'imagination, oscillant entre le senti­ment et la sensualité, versait souvent dans l'éro­tisme. Il apparut de plus en plus qu'il n'avait pas en lui l'étoffe du grand écrivain que M. Sainte-Beuve avait cru pressentir.

La Bourse avait ruiné Feydeau, la littérature ne l'enrichit pas. Le malheur s'abattit sur lui. Frappé, en 1869, d'apoplexie et de paralysie partielle, il eut une fin de vie misérable. Il expira à Paris le 28 octo­bre 1873.

De la vingtaine d'ouvrages qu'il publia, seule Fanny lui a survécu, à qui il n'a peut-être manqué, pour être un petit chef-d'œuvre impérissable, que d'un peu moins flamboyer et reluire.

AURIANT.